Schumann, entre Eusebius et Florestan

Schumann, entre Eusebius et Florestan

Un des plus beaux fleurons de l’école française de piano de sa génération (il est né en 1948), Jean-Philippe Collard, « Victoire de la Musique » en 1988, grand connaisseur et interprète de Mozart, Chopin ou Liszt, a déjà enregistré avec un grand talent des œuvres de Schumann (les « Romances », le « Carnaval », les « Études symphoniques », des « Impromptus sur un thème de Clara Wieck », le « Concerto pour piano »). Voici qu’il y revient avec un superbe CD consacré à la « Fantaisie en ut majeur » op.17 et aux « Kreisleriana » op.16, deux œuvres essentielles pour appréhender ce génie tourmenté que fut Schumann. On a là un portrait musical en pieds du pianiste romantique. Ces pages ont vu le jour en 1836 pour la première et 1838 pour les secondes. Schumann avait alors 26-28 ans ; il était amoureux fou de la jeune Clara Wieck (elle avait seize ans), la fille de son professeur, le redoutable Friedrich Wieck qui obligea les deux jeunes gens à se séparer, ce qui fut douloureux et ce dont témoigne la « Fantaisie » que Schumann composa alors ; quoique dédiée à Beethoven dont on allait commémorer le dixième anniversaire de la disparition (on entend là une citation d’une mélodie du cycle « À la Bien-aimée lointaine » de Beethoven), cette œuvre est donc un double hommage au père du romantisme allemand dont Schumann est sans conteste une des héritiers et à la bien-aimée lointaine qu’est à cette époque Clara Wieck. Jean-Philippe Collard rend parfaitement tout le romantisme dont est pétrie cette « Fantaisie », lecture implacable mais d’une clarté éblouissante ce qui est également le cas des « Kreisleriana » inspirées par une nouvelle d’Hoffmann qui évoquait ce musicien imaginaire qu’était Kreisler auquel Schumann (partagé entre musique et littérature) s’identifia ; ici se retrouvent ces deux personnages dont le compositeur romantique, bi-front, se croit l’expression, le mélancolique Eusebius et le fougueux Florestan, d’où une incertitude, admirablement entretenue tout au long de cette lecture pianistique par l’interprète, qui s’empare de l’auditeur, pouvant virer à l’angoisse. C’est admirable.

Schumann, Fantaisie & Kreisleriana, Jean-Philippe Collard, piano, 1 CD La Dolce Volta LDV30

Les commentaires sont clos.