Les CD de l’été 2018
Voyage sentimental d’un fils de Bach
Mathieu Dupouy a enregistré il y a dix ans un premier CD consacré à l’œuvre pour clavier de Carl Philipp Emanuel Bach ; il vient de récidiver en proposant une nouvelle lecture d’œuvres pour clavier de ce même Bach interprétées sur un pianoforte et non plus sur un clavicorde comme précédemment. Il montre là avec un immense talent l’originalité de ce compositeur qui écrivit alors qu’il était maître de chapelle à Hambourg (d’où son surnom de « Bach hambourgeois ») des Sonates, Fantaisies et Rondos « pour connaisseurs et amateurs » (« für Kenner und Liebhaber »), contenus dans six recueils publiés entre 1779 et 1786. Ici transparaît, au travers de quatre de ses œuvres, un musicien de génie qui s’insère entre classicisme et romantisme, entre Haydn et Mozart d’une part et Beethoven d’autre part. Il s’inscrit dans ce vaste mouvement culturel qui vit le jour à la fin du XVIIIesiècle et qui met l’accent sur la « sensibilité » (« Empfindsamkeit ») ce dont ce CD est la parfaite illustration.
CPE Bach, Voyage sentimental, M. Dupouy, pianoforte,1 CD Label Hérisson LH17
Destin de femmes, une histoire d’amour !
Grande peut être la tentation de monter un opéra imaginaire regroupant les plus beaux airs du répertoire. Ce à quoi ont succombé Philippe Grison, le directeur de l’Orchestre Avignon-Provence, et son chef invité, Samuel Jean. Ils ont puisé dans trois opéras emblématiques, « Carmen », « La Traviata », et « La Bohème » mettant en scène trois femmes (que présente finement dans le livret la cantatrice Nathalie Manfrino) pour qui l’amour est tout, qu’il s’agisse de Carmen, de Violetta ou de Mimi, face à Don José et Escamillo, Alfredo et Giorgio Germont, Rodolfo. Tous ces personnages sont incarnés ici par quatre jeunes interprètes talentueux qui font une carrière internationale. La belle soprano Nathalie Manfrino incarne délicatement Mimi et Violetta, Anaïk Morel est avec fougue la gitane Carmen ; le brillant ténor Jean-François Borras campe successivement avec vaillance Don José, Rodolfo et Alfredo tandis qu’Étienne Dupuis chante avec panache Escamillo et avec force Giorgio Germont. Sous la baguette inspirée de Samuel Jean l’ORAP brille de tous ses feux.
Opéra, une histoire d’amour, solistes et ORAP, direction : S. Jean. 1 CD Decca 4816806
Le clavecin au cœur
Jean-François Dandrieu (1682-1738), organiste, claveciniste et compositeur français n’est pas un inconnu mais sa musique qu’on ne joue guère mérite d’être écoutée. Il joua un rôle non négligeable dans l’évolution du jeu du clavecin. L’excellent claveciniste Marouan Mankar-Bennis dont c’est ici le premier CD a eu l’idée de composer un opéra instrumental en empruntant des pièces aux différents Livres que Dandrieu consacra au clavecin tout au long de sa vie. Pour ce faire il a choisi un clavecin flamand d’après un instrument du XVIIesiècle pour le Prologue et les trois premiers Actes de son opéra ainsi qu’une copie d’un clavecin français du XVIIIesiècle : lumineux. Chaque pièce de cette composition porte un nom qui la caractérise, et sont organisées en divers moments, « La Pastorale », « Le Concert des Oiseaux », d’une grande délicatesse, mais aussi empruntées aux impressionnants « Caractères de la Guerre ». Hommage enfin au père de la tragédie lyrique, avec « La Lully » mais aussi à la musique italienne symbolisée ici par Corelli. À savourer.
Jean-François Dandrieu, Pièces de Caractère, M. Mankar-Bennis, clavecin. 1 CD. L’Encelade ECL 1702.
« L’estro vivaldiano », trafic d’influences
L’ensemble Mensa Sonora composé de deux musicienne et trois musiciens jouant sur instruments anciens a vu le jour en 1989 ; il se consacre à la recherche musicale et a redécouvert des œuvres, inédites jusqu’alors, de Giorgio Gentili (1669-1737) compositeur et premier violon à la basilique San Marco, probablement maître de Vivaldi (1678-1740) dont on mesure la proximité au travers d’un « Concerto da Camera » et de deux Concertos extraits de son opus 6. Influences croisées entre Torelli (1658-1709) et Vivaldi, entre celui-ci et Albinoni (1671-1751) d’une part et Johann Schreyfogel, musicien vénitien d’origine suisse-allemande d’autre part. On rapprochera la « Sinfonia del Sepolcro » de Marc Antonio Ziani (1653-1715) de celle de Vivaldi, RV 169 : influences croisées pour celle de Vivaldi avec le « Concerto per violino e organo » du mystérieux Padre Bijaco. L’orgue baroque de Dominique Thomas en l’église Saint-Pierre d’Albigny sonne ici merveilleusement sous les doigts (et pieds !) de Mattieu Boutineau soutenant à ravir le quatuor à cordes de l’ensemble Mensa. Un CD rare.
L’Estro vivaldiano, Menso Sonora, dir. Gabriel Grosbard, 1 CD Passacaille 1035.
Naissance de Vénus en musique
L’ensemble Arsys Bourgogne composé de seize chanteuses et chanteurs, est placé, depuis 2015, sous la direction éclairée du chef d’origine gréco-hongroise Mihály Zeke. Son répertoire vocal a cappella ou avec instruments s’étend de Monteverdi à nos jours. Il se propose ici, sous le titre emprunté à un recueil de quatre mélodies de Darius Milhaud, d’évoquer la « Naissance de Vénus ». Outre ces quatre pièces, on savourera les « Trois chansons de Charles d’Orléans » de Debussy suivies des « Trois chansons » de Ravel ; de Francis Poulenc on entendra « Un soir de neige », quatre autres fines mélodies, puis les « Cinq (très beaux) Rechants » de Messiaen avec la soprano Cécile Lohmüller en soliste. Mais on découvrira aussi deux pages extraites d’ « À contre-voix » de Florent Schmitt rarement chantées tout comme deux des « Cinq chants paysans de Haute-Auvergne » de Joseph Canteloube avec, en solistes, Cécile Lohmüller et le ténor Fabrice Foison. Superbe florilège de musique française du XXesiècle parfaitement interprété, tout en finesse.
Naissance de Vénus, Ensemble Arsys Bourgogne, dir. M. Zeke, 1 CD Paraty 117155.
Pour la Duchesse du Maine
La duchesse du Maine, belle fille de Louis XIV et de Madame de Montespan, s’ennuyait ferme à Versailles. Son mari, le Duc du Maine, lui acheta le château de Sceaux où elle put déployer son goût pour les sciences, pour le théâtre et la musique ce dont se fait l’écho ce CD du jeune ensemble « La Française » (nom tiré des « Nations » de François Couperin) composé de quatre interprètes jouant sur instruments anciens (clavecin, violon, violoncelle et flûte traversière) et d’une voix. Si les trois œuvres ici retenues n’ont pas été explicitement composées pour la Duchesse du Maine, elles demeurent un hommage qui lui est dédié, qu’il s’agisse du « Concert de Chambre » de l’Avignonnais Jean-Joseph Mouret animateur des « Grandes Nuits » de Sceaux (1714-1715), ou des deux Cantates de Nicolas Bernier (Cantate de Médée) et de Thomas-Louis Bourgeois (Cantate d’Ariane) évoquant deux célèbres amantes délaissées. Tout ceci est joliment restitué par ces jeunes musiciens qui maîtrisent à ravir le répertoire français de l’époque baroque.
Pour la Duchesse du Maine, Ensemble la Française, 1 CD Polymnie POL 503 134.
Musique au cœur de l’Europe orientale
On avait découvert le Sirba Octet dans le cadre de « Musiques dans les Vignes ». On retrouve dans ce CD avec plaisir ces musiciens issus pour la plupart de l’Orchestre de Paris avec un invité Nicolas Kedroff (balalaika) et entouré des membres de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège sous la baguette de Christian Arming. Ils nous proposent un florilège de musiques russes, klemzer et tziganes d’une extraordinaire fraîcheur, tantôt joyeuses, tantôt mélancoliques, où les musiciens solistes dialoguent entre eux et avec l’orchestre avec un naturel confondant. On retiendra « Katioucha » sur quoi s’ouvre ce récital, l’immortel « Kalinka » ou « Le temps du muguet » dans un arrangement jazzy de Cyrille Lehn (auteur des arrangements de l’ensemble des pièces ici interprétées) associé à Yann Ollivo. Cela s’achève sur la belle « Suite de Moldavie » un triptyque de chants de bergers. En parfaite harmonie, des pièces tziganes, yiddish, roumaines, moldaves : toute l’Europe orientale.
Sirba Orchestra ! russian, klemzer & gipsy music, Sirba Octet, N. Kedroff, balalaïka, Orch. Philh. Royal de Liège, dir. : Chr. Arming. 1 CD DG 4816962.
Le clavecin de Joseph Haydn
Pierre Gallon, un des maîtres du clavecin contemporain, appartient à l’école qui revisita la musique baroque et lui rendit ses lettres de noblesse. Haydn n’a pas trente ans lorsqu’il rentre au service de la riche famille princière Esterhazy. Il composa là, trente ans durant toute son œuvre instrumentale ou lyrique au long d’une carrière contraignante mais assurée. Lorsqu’il écrit ses pièces pour le clavecin, à son apogée avec J.-S. Bach et ses émules, celui-ci est sur son déclin et fera bientôt place au pianoforte ; mais à écouter les huit pages que Pierre Gallon a inscrites à son CD, il apparaît que l’on a là l’amorce de ce qui devint le style classique viennois ouvrant la voix à un Beethoven, un Schubert, un Liszt. Écrits entre 1765 et 1781, les deux Divertimenti de 1766 succédant au « Capriccio » de 1765 plein d’humour, les deux « Sonate » de 1773 dédiée au Prince Niccolo Esterhazy et de 1776 « per clavicembalo » sont marqués par l’esprit des Lumières tout en ouvrant la voie au romantisme. Splendide.
Joseph Haydn « per il CembaloSolo »,P. Gallon, clavecin,1 CD L’Encelade ECL 1701.
Violon-accordéon, une « Révélation »
« Révélation » marie le violon à l’accordéon pratiqués par deux frères, Julien et Dimitri Bouclier, fils de l’accordéoniste Thierry Bouclier. Ils offrent un panorama riche d’œuvres composées pour la plupart pour l’accordéon tel que pratiqué en Europe orientale et transcrites pour cet instrument et le violon avec lequel il se conjugue parfaitement. Du père présumé de la « Chaconne » Tommaso Vitali à l’époque baroque où l’accordéon sonne comme un orgue portant le violon, à Sergeï Voïtenko, compositeur russe né en 1973, dont la page ici retenue donne son titre à cet album, on reste frappé par la diversité des pièces allant du baroque au plus contemporain, de Piazzolla, l’inventeur du « tango nuevo » dont on savoure « Violentango » ou « Meditango » à des compositeurs russes privilégiés pour leur diversité, avec le beau « Rondo Capriccioso » de Zolotarev, la poignante Suite de Vlasov intitulée « Goulag » pour accordéon solo, et de Chalaïev, « Hiver » série de variations sur un thème populaire russe. C’est remarquablement interprété par des experts en la matière.
Révélation, J. & D. Bouclier, violon et accordéon, 1 CD Klarthe K047.
Voyage musical et médiéval
Le « Sollazzo (en français : divertissement) Ensemble » se consacre aux musiques nées en Europe occidentale du XIIIeau XVesiècle. Voyage imaginaire à une époque où le voyage terrestre ou maritime était ardu ! Tableau diversifié en douze pièces qui se déploient sur deux bons siècles ; mystères profanes ou sacrés, des chants de louange (« Magdalena degna da laudare ») à l’évocation des sibylles (« El Cant de la Sibilla »), de la société secrète des « Fumeurs » (« Fumeux fume par fumée » ou « Puisque je sui fumeu ») aux chants funèbres de Franchinus Gaffurius (« Litania mortuorum discordans »), aux ballades de la cour d’Aragon (« En seumeillant », titre à cet album) de l’ « Ars subtilior » et aux madrigaux italiens (« La bella stella »). Trois instrumentistes (vielles à archet et harpe), deux sopranos et un ténor constituent cet ensemble, conduit depuis sa vielle par la talentueuse Anna Danilevskaia. Les paroles de ces pièces figurent dans le livret accompagnant ce CD.
En Seumeillant, Rêves et visions au Moyen-Âge, Sollazzo Ensemble, 1 CD Ambronay Éditions AMY 309.
Le temps d’un souffle
Gilbert Amy, disciple de Milhaud, Messiaen et Boulez, à qui est consacré cet album est un des plus grands compositeurs français vivants ; c’est aussi un brillant chef d’orchestre qui a dirigé les plus prestigieuses phalanges musicales. C’est sous son regard chaleureux et attentif que les six pages qui constituent ce CD ont été enregistrées, à l’initiative du clarinettiste suisse Serge Menozzi qui, en compagnie de musiciens talentueux, lui rend un bel hommage : « En Trios » en deux parties (Juliette Leroux, violon, Serge Menozzi, clarinette, Marwan Dafir, piano) et « Le Temps du souffle II » pour violon (Raphaëlle Rubio), saxophone soprano et trombone (Jules Boitin), deux duos, « Le temps du souffle I », titre de cet album, pour clarinette et cor de basset (Lucas Dietsch et Serge Menozzi) et « …d’un désastre obscur » pour mezzo soprano (Jingchao Wu, mezzo soprano) et clarinette et enfin deux solos, « Jeux » pour sax soprano et « En-harmonie » pour harpe (Aurélie Bouchard qui dirige l’ensemble). Toute la finesse et l’intelligence de la musique française contemporaine.
Gilbert Amy, Le temps du souffle, solistes sous la direction d’A. Bouchard. 1 CD Hortus 150.
Vie de famille musicale
Jean-Pierre Drouet, aujourd’hui âgé de 82 ans, a une longue carrière derrière lui. Compositeur, percussionniste de formation, il s’est frotté à nombre d’instruments et a composé des musiques en tous genres, notamment pour maintes troupes théâtrales. Inspirées par la vie des membres d’une famille, les onze pages ici réunies mettent l’accent sur de multiples textes qu’exaltent avec talent les musiciens de l’Ensemble à géométrie variable Aleph, allant d’un texte traditionnel roumain, « Charmes », alliant voix, accordéon, clarinette et violoncelle, à un extrait de la « Thèse » du compositeur Jean-Charles François pour … conférencier, voix, clarinette basse, violoncelle, piano et synthétiseur. Musiques fascinantes par leur diversité et l’inspiration du compositeur ouvert sur des cultures variées. Trois « Solos » de violoncelle, de voix (sur un texte de Rainer Maria Rilke), de clarinette ou pour percussion, « En plein vide » (sur un poème de Ghérasim Lucas, poète français d’origine roumaine) et des mariages de percussions, piano, clarinette, violoncelle, voix, synthétiseur, tout à la fois d’une grande subtilité et d’une puissance explosive.
Jean-Pierre Drouet, Vie de famille, Ensemble Aleph, 1 CD Label-Herisson LH07.
Homilius, un fidèle héritier de Bach
Rares sont les mélomanes qui connaissent Gottfried August Homilius (1714-1785) dont on dit qu’« il était un des plus grands et valeureux organistes de son temps », l’un des trois élèves remarquables de Johann Sebastian Bach. Le jeune organiste Thomas Kientz, titulaire de l’orgue de la cathédrale de Strasbourg, a eu la riche idée d’enregistrer une intégrale des Chorals pour orgue d’Homilius qu’on découvre ici, une œuvre qui reflète l’enseignement du Cantor de Leipzig, mais aussi empreinte d’une influence italienne que Bach n’eût point reniée, avec un sens de la mélodie indéniable. Ces trente-huit Chorals s’écoutent avec plaisir, face à trois Chorals de Bach fort bien chantés par quatre interprètes talentueux, Magda Lukovic, soprano, Martine Lorentz, alto, Thomas Kientz lui-même, chantant les parties de ténor, et Jean Moissonnier, basse. L’orgue Jürgen Ahrend de l’église de Porrentruy en Suisse sonne merveilleusement dans cette musique qui chemine avec virtuosité du style ancien hérité de Bach au « style sensible » qui sera celui de Carl-Philipp-Emanuel. Une vraie découverte.
- A. Homilius, Intégrale des Chorals pour orgue, Th. Kientz, orgue, 2 CD Hortus 153-154.
L’alliance des contraires
Singulière alliance que celle qu’offre le Duo Dulciâme au travers d’œuvres qui allient le chant du violon à la puissance de l’orgue voire de l’harmonium. Josef Rheinberger appartient à cette génération de la seconde moitié du XIXesiècle que l’on redécouvre aujourd’hui ; il se voulait résolument classique ce dont témoigne son « Ouverture » suivie de « Thème et variations » solidement charpentés. Le célèbre violoniste Adolf Busch composa une « Suite dans le style ancien », plus proche de l’expressionisme que du classicisme. Superbe alliance des contraires, la paraphrase composée par l’organiste alsacien Marie-Joseph Erb sur le verset du « Notre Père », « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». Alexandre Guilmant a joué un rôle aussi important que César Franck (dont on écoutera la « Leçon de solfège ») dans le renouveau d’orgue à l’aube du XXesiècle ; la belle « Mélodie » extraite de son « Organiste pratique » en est la preuve éclatante. Sensibles sont la « Méditation et Scherzetto » de Théodore Dubois tout comme la « Vision de Jeanne d’Arc » de Gounod. Un disque rare.
L’Alliance des Contraires, Duo Dulciâme, K. Lueders, orgue et harmonium, P. Karampournis, violon. 1 CD Hortus 146.
Nöels au temps des Révolutions
Titulaire de l’orgue de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay, Nicolas Bucher offre ici, sur l’orgue Garnier/Requier de l’église Saint-Léger de Lens, un florilège de Noëls composés au temps des Révolutions, entendez là cette période foisonnante qui va du règne de Louis XV et de la Révolution française de 1789 à la Deuxième République de 1848 durant laquelle on composa et joua des Noëls dans le droit fil de la tradition instaurée et magnifiée par Louis-Claude Daquin que suivirent Boëly, Gervais-François Couperin, Nicolas Séjan, Guillaume Lasceux ou Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier qui ont peu ou prou traversé cette vaste période agitée ! On découvre le « Noël Étranger » de Daquin ou son « Noël en Grand jeu et duo », le « Noël suisse » de Boëly ou celui de Séjan, « Joseph est bien marié » de Lasceux ou les deux « Noëls au Grand Chœur » de Beauvarlet-Charpentier. Diversité d’inspiration, émotion touchante, romantisme sous-jacent font de ce CD un album d’une grande richesse musicale magnifiée par l’interprète remarquable qu’est Nicolas Bucher.
Dans les temps de Révolutions… Noëls pour orgue de Louis XV à Louis Philippe, N. Bucher, orgue, 1 CD Hortus 149.
Trois Chorals de César Franck
C’est sur l’orgue Merklin de la cathédrale de Moulins que l’organiste Yoann Tardivel a enregistré les œuvres contenues dans cet album. César Franck et le facteur Joseph Merklin, d’origine belge tous deux, même génération, et naturalisés français au lendemain de la Guerre de 70, étaient de grands amis et dans la querelle qui opposa Merklin à la maison Cavaillé-Coll, Franck prit le parti de son ami. Ici, les trois « Chorals » de Franck sont des pages caractéristiques sur le plan de la forme, thème et variation, pour le premier, introduction et sonate pour le deuxième et Lied pour le troisième. Il ne s’agit pas de musique religieuse, mais bien de musique pure tout simplement, des monuments du répertoire organistique. Place est faite à trois pages d’œuvres ultimes de Franck transcrites pour l’orgue par le grand organiste Charles Tournemire : deux extraits de la légende scandinave « Hulda », le « Cortège des Fiancés » et la « Chanson de l’Hermine » et le prélude de l’acte II de son opéra inachevé « Ghiselle ». Magnifique.
César Franck, Trois Chorals, Y. Tardivel, orgue. 1 CD Hortus 147.
De l’unité au fragment : Schubert
Le Florentin Matteo Fossi qui a tout juste quarante ans est un des pianistes les plus talentueux de la riche école italienne ; il a parcouru le monde avec succès, enseigne le piano à Sienne, la musique de chambre à Fiesole et a publié nombre d’enregistrements salués par la critique. Il propose ici un parcours musical consacré à un Schubert qui cherche sa voie et doute, ce dont témoigne l’esquisse de sonate D 571 de 1817 (Schubert a vingt ans) ou celle de 1825, D 840, qui ne compte encore que deux mouvements (d’où son sous-titre de « Reliquie ») ; ce n’est qu’en 1868 qu’on découvrit grâce à Brahms qui les publia les « Drei Klavierstücke » D 946 posthume (Trois pièces pour piano), dernières pages que composa Schubert en 1828, où alternent passages ténébreux et apaisés ou encore la joie qui traverse la troisième pièce. En ouverture de cet album cette œuvre admirablement achevée qu’est la « Wanderefantasie » D 760 écrite en 1822 qui révèle la forte personnalité d’un Schubert succédant à Haydn, Mozart, Beethoven…
Schubert de l’unité au fragment, M. Fossi, piano. 1 CD Hortus 141.
Qu’est-ce que le musicien ?
C’est à cette question que posait au tournant des Veet VIesiècles de notre ère le philosophe latin Boèce que tente de répondre le compositeur français Philippe Leroux dans cette œuvre que lui a commandée l’Ircam-Centre Pompidou : « Est-ce le chanteur, l’instrumentiste ou celui qui compose par instinct naturel, ou est-ce celui qui réfléchit et essaye de comprendre les lois de son art ? » Vaste programme s’articulant en vingt-deux courtes séquences entrelacées composées par Philippe Leroux pour dix-huit d’entre elles dont sept s’appuyant sur « Cinq Poèmes » du poète français Jean Grosjean (1912-2006), et trois séquences médiévales de Guillaume de Machaut (notamment « Ma fin est mon commencement ») et de Jacob de Senièches. Les séquences de Leroux disent bien son propos : « Celui qui s’étonne », « Celui qui perçoit », « Celui qui désire », « Celui qui imite », « Celui qui joue »… où se mêlent voix humaines et musique électronique, savamment élaborées. On est ici au cœur de la musique contemporaine la plus raffinée.
Quid sit Musicus ? Philippe Leroux, Solistes XXI, direction : Rachid Safir, 1 CD Soupir Éditions S228.
Le Maître et l’Élève : Octuorissimo
La série « Le Maître et l’Élève » de la Collection 1001 Notes visent à soutenir de jeunes musiciens encore en formation. Le principe est simple : un artiste de renom « prête » sa notoriété à des jeunes instrumentistes avec qui il construit un programme qui les mettra en valeur. Ici l’artiste de renom n’est rien moins que le Quatuor Debussy universellement connu qui apporte son soutien au tout jeune Quatuor Arranoa, un quatuor masculin soutenant un quatuor féminin ! D’où un octuor. Cinq œuvres au programme. Du compositeur argentin Osvaldo Golijov, un octuor renforcé d’une contrebasse, hommage à Astor Piazzolla qu’on retrouve avec son « Tango Ballet » splendidement enlevé par le Quatuor Arranoa. Entretemps on appréciera, sous les archets des Debussy « Deux Pièces pour quatuor à cordes » transcrites par Chostakovitch dont on sait que les Debussy sont de fins connaisseurs. Ils rejoignent le Quatuor Arranoa pour « Deux pièces pour octuor » œuvre de jeunesse de Chostakovitch, et enfin dans le remarquable « Octet » de l’Américain Marc Mellits. Revigorant !
Octuorissimo, Le Maître et l’Élève, Quatuors Debussy et Arranoa, 1 CD 1001 Notes 04.
Mystères de la vie et de la mort
L’Ensemble Les Surprises évoque ici le premier âge baroque au travers d’œuvres écrites au cours de la terrible Guerre de Trente Ans qui ravagea les pays germaniques. Se développa alors la musique instrumentale et vocale ce qu’illustrent les pages ici rassemblées et d’abord de Buxtehude, le maître de Lübeck, avec son émouvant « Klag Lied » (une élégie) composé pour la mort de son père ou cette courte chaconne « Seigneur je n’ai que toi » que distille la soprano ou enfin la superbe « Passacaglia » exprimant sa conception du monde. Peu connus, Nicolaus Bruhns est l’auteur d’un déchirant « De Profundis clamavi », Christoph Bernhard, disciple de Schütz, fait chanter à deux solistes le grand Psaume 128 (« Heureux celui qui craint le Seigneur ») ; de Heinrich Scheidemann on saluera le beau et gracieux « Praeambulum », tout comme la « Ciaconna » (chaconne) de Pachelbel sur quoi s’ouvre ce somptueux florilège qui se conclut par l’ample « Sonata Prima » du disciple de Schneidemann que fut Johann Adam Reincken. Un « must » !
Mysterien Kantaten, Ensemble Les Surprises, direction : L.-N. Bestion de Camboulas, 1 CD Ambronay Éditions AMY 051.
Le Livre d’orgue de Montréal
En 1978 la musicologue Élisabeth Gallat-Morin découvrit par hasard ce « Livre d’orgue de Montréal » apporté en 1724 en Nouvelle-France (le Québec) par un clerc sulpicien nommé Jean Girard. Contenant 398 pièces, il constitue la plus importante collection d’œuvres pour orgue dans le style français, celui du XVIIesiècle : 6 messes, 11 Magnificat, 16 pièces avec le chant orné, entre autres ; c’est là un ouvrage à l’usage des paroisses. Hélène Dugal, organiste titulaire du grand orgue de la cathédrale de Montréal, a choisi d’interpréter sur le bel orgue de Commequiers (Vendée) des pages illustrant les grandes formes musicales du temps du Roi-Soleil, « Magnificat », « Messe du 4eton » d’Henry Dumont, Hymne « Adoremus triumphantem », « Te Deum », chaque page étant précédée d’une introduction en plain-chant distillée par l’Ensemble Gilles Binchois, connaisseur hors pair, sous la houlette de Dominique Vellard qui est également compositeur, du répertoire de la musique médiévale et de la Renaissance et de la musique d’église du Xeau XIXesiècle. L’Ensemble Gilles Binchois anime chaque année une académie d’été au sein des Rencontres internationales du Thoronet.
Livre d’orgue de Montréal, H. Dugal, orgue, Ensemble Gille Binchois, dir. D. Vellard, 1 CD Hortus 139
Orgue et Magnificat
En 1739, le célèbre facteur Louis-Alexandre Clicquot (il fut le facteur de Louis XV) achevait la construction de l’orgue de l’église Saint-Jacques-Saint-Christophe de Houdan (Yvelines), le plus ancien orgue d’Ile-de-France encore en fonction. Cette année-là parut le « Premier Livre d’orgue » de Jean-François Dandrieu (1682-1738) comprenant, outre quelques pièces diverses, six Suites qui chacune intègrent les six versets du « Magnificat ». Disciple des grands organistes Michel Chapuis et André Isoir, Régis Allard, titulaire de l’orgue de l’église de Houdan, nommé là pour sa connaissance approfondie de l’orgue classique français, a choisi d’interpréter deux « Magnificat », suivis ou précédés de pièces extraites du « Premier Livre » de Dandrieu et de placer en regard deux « Suites du Premier et du Deuxième tons » de Nicolas Clérambault (1676-1749) destinées à illustrer elles aussi le Magnificat : la parenté entre ces deux compositeurs est patente dont les œuvres marient avec délicatesse le noble style français au style italien, celui-là même qui avait en Allemagne, retenu l’attention de Bach… L’interprétation de Régis Allard est superbe variant à plaisir les registres de son orgue magnifique.
Magnificat 1739, R. Allard, orgue L. A. Clicquot de Houdan, 1 CD Hortus 143.
Harold en Italie
Comment faire connaître une œuvre imposante (orchestre et soliste, opéra) au XIXesiècle
Si ce n’est en transcrivant sa partition pour un petit effectif voire un seul instrument, le plus souvent le piano. Ce que fit Liszt pour cette « symphonie avec alto principal » intitulée « Harold en Italie » composée par Berlioz en 1834 à la demande de Paganini qui venait d’acquérir un alto Stradivarius de qualité ; le commanditaire refusa de jouer la partie soliste de cette œuvre qui ne mettait assez en valeur, selon lui, son instrument (et celui qui le jouait !). La transcription lisztienne où le piano se substituait à l’orchestre était d’une fidélité absolue ; celle de l’organiste de l’église de la Trinité à Paris, Loïc Mallié, ne l’est pas moins, qu’il joue ici sur l’orgue construit par le facteur Jean Daldosso en l’église d’Urrugne au Pays basque, en compagnie du merveilleux altiste germanique Karsten Dobers, restituant tous deux le somptueux romantisme berliozien et ses couleurs propres. Complément bienvenu à cette lecture, une pièce, « Altissimo », pour alto solo écrite par Loïc Mallié pour Karsten Dobers, empruntant quelques thèmes à « Harold », et un hommage à Berlioz à l’orgue.
Altissimo, Hector Berlioz, Harold en Italie, L. Mallié, orgue, K. Dobers, alto, 1 CD Hortus 144.
Divine Tragédie
Professeur au Conservatoire de Paris, organiste en résidence du nouvel orgue de l’Auditorium de Radio-France, Thomas Ospital a conçu un programme original consacré à Franz Liszt qu’il joue sur le grand-orgue de l’église Saint-Eustache à Paris dont il est titulaire. L’œuvre centrale est ici la Fantaisie et Fugue sur le choral « Ad nos, ad salutarem » , l’œuvre « la plus extraordinaire écrite pour l’orgue » selon Saint-Saëns, faux hommage à Bach, qui se révèle être un mini-opéra romantique, une « divine tragédie », « sans parole » (« Ohne Worte »), le choral évoqué étant emprunté à un opéra de Meyerbeer, ceci encadré par « Orphée » transcription par Louis Robilliard d’une page écrite en prélude à l’opéra de Gluck, « Orphée et Eurydice », que Liszt avait monté à Weimar et par « Funérailles » élégie composée en 1849 après l’écrasement de la révolution hongroise, également transcrite par Louis Robillard. Ce CD se conclut par un hommage de Liszt à son gendre « Am Grabe Richard Wagners » (« Sur la tombe de Richard Wagner ») et une pièce émouvante « Consolation ». Un Liszt intériorisé, superbe.
Liszt, Une divine tragédie, Th. Ospital, orgue, 1 CD Hortus 145.
Un clavier bien tempéré
Paradoxe : on ne se lasse pas d’entendre et de réentendre cet ouvrage didactique et pédagogique qu’est « Le clavier bien tempéré » en deux parties de Johann Sebastian Bach. Le premier cycle fut achevé à Cöthen en 1722 mais c’est ici le deuxième cycle qu’il nous est donné d’écouter ; compilé en 1744 à Leipzig, il s’articule, comme le premier en 24 « Préludes et Fugues » dans chacun des douze demi-tons de la gamme chromatique. Le manuscrit sur lequel a travaillé l’excellent claveciniste Sébastien Guillot – qui fut à bonne école sous la houlette d’Huguette Dreyfus et Christophe Rousset – est le manuscrit dit « de Londres », copie de l’original de la main même de Bach et de son épouse Anna Magdalena. Cet enregistrement réalisé en 2011 est une première. Comparé au premier cycle (que Sébastien Guillot a également enregistré en 2015, autre première), celui-ci propose des préludes plus développés, des évocations des danses comme dans les Suites, des émanations du style italien façon Scarlatti. Tout cela annonce « L’Art de la Fugue » à venir…
- S. Bach, Das Wohltemperierte Klavier-Teil II, S. Guillot, clavecin, 2 CDs Saphir LVC 1136
Le Prince des Claviers
Difficile d’imaginer l’engouement que suscita James Lefébure-Wély (1817-1869), pianiste, organiste, improvisateur et compositeur français qui connut la gloire sous le Second Empire essentiellement comme organiste, titulaire successivement des orgues des église Saint-Roch, de La Madeleine et Saint-Sulpice à Paris, inaugurant en outre nombre d’orgues de son ami le célèbre facteur Cavaillé-Coll. Si son œuvre pour orgue est connue, sa musique de chambre gagne à être redécouverte, c’est tout le prix de cet album conçu par le pianiste et harmoniste Pascal Auffret. On découvrira là des pages composées pour un instrument tout nouveau à l’époque, l’harmonicorde d’Alexandre Debain, inventeur de l’harmonium ou orgue expressif en vogue dans les salons de la haute socièté impériale. Nous avons là un florilège éblouissant qui va du « Caprice original pour deux harmonicordes » dont Pascal Auffret a enregistré les deux parties ici superposées ! aux extraits de « La Noce bretonne », en passant par « Les Chants du foyer », tout d’intimité ou « Improvisation », ou encore les « 24 Études mélodique pour le piano » et enfin la superbe « Sonate dramatique pour violon et piano » qu’exalte aux côtés de Pascal Auffret l’excellent violoniste roumain Marian Iacob Maciuca.
Lefébure-Wely, princes des claviers, M. I. Maciuca, violon, P. Auffret, piano & harmonicorde, 2 CDs Hortus 156-157.
Le cinquième marteau
Après avoir été titulaire de l’orgue de la cathédrale de Bourges pendant neuf ans, Thomas Lacôte est devenu en 2011 titulaire adjoint de l’orgue de l’église de La Trinité dont le titulaire est Loïc Mallié, ce splendide instrument où s’illustra Olivier Messiaen de 1931 à 1992. Organiste, Thomas Lacôte est aussi professeur d’analyse musicale au Conservatoire de Paris, improvisateur et compositeur pour diverses formations, outre l’orgue. On découvrira son œuvre pour orgue dans ce premier CD qui lui est justement consacré, interprétée sur l’orgue de La Trinité par lui-même dans les « Quatre (courts) Préludes Éphémères » qui semblent comme improvisés ou dans les « Quatre Improvisations » plus structurées, composées en 2013 sur quoi se clôt cet enregistrement. Remarquables également les « 3 Études pour orgue », beau travail sur les timbres, mis en valeur ici par Ghislain Leroy et Martin Tembremande, ou cette page originale mariant la sonorité éclatante du saxophone à la puissance de l’orgue. « The Fifth Hammer » pour orgue à quatre mains est le sommet de ce album étincelant.
Thomas Lacôte, The Fifth Hammer, Th. Lacôte et alii, orgue, A. Mollica, saxophone, 1 CD Hortus 108.
L’Orgue des Jardiniers
Titulaire de l’orgue Andreas Silbermann de l’église luthérienne Sainte-Aurélie à Strasbourg, inauguré en 1718, ainsi que de l’orgue Dominique Thomas (2007) de l’église réformée du Bouclier, l’organiste Jérôme Mondésert présente celui de Sainte-Aurélie comme étant « de taille modeste mais néanmoins d’une efficacité surprenante au niveau sonore », destiné à « soutenir les cantiques chantés par l’assemblée des jardiniers et maraîchers » qui exerçaient non loin de l’église, d’où le titre de cet album. Ce sont des œuvres pour orgue seul qu’a choisi d’interpréter Jérôme Mondésert mettant en valeur les qualités de son instrument. Et d’abord, de Johann Gottfried Walther (1684-1748), organiste et compositeur allemand, parent et ami de Johann Sebastian Bach à qui est consacré l’essentiel de ce CD, une Chaconne dans le goût italien « Ciacona sopra’il Canto fermo O Jesu, du edle Gabe », que suit un remarquable choral de Georg Böhm (1661-1733) «Vater unser im Himmelreich » et enfin du Bach de Leipzig la Sonate en trio N°6 BWV530, les Préludes et fugues BWWV531, 536 et 902, deux superbes Chorals entre admirablement interprétés Du grand art sur un orgue fidèlement restauré.
L’orgue des jardiniers – Walther, Böhm, Bach, J. Mondésert, orgue, 1 CD Hortus 158.