Les CD de l’hiver 2020
Rose & Lys
Ce sont là des musiques anglaises (la Rose) et françaises (le Lys) pour duo de violes de gambe que propose dans ce CD l’ensemble Le Banquet du Roy constitué des gambistes Eleanor Lewis-Cloué et Olivier Gladhofer qui jouent trois types de violes, dessus, ténor et basse. Ils offrent un panorama significatif du répertoire dédié à ces instruments fort appréciés des mélomanes britanniques et français de la fin du XVIesiècle jusqu’au milieu du XVIIIeoù le violoncelle se substitua à la viole venue, elle, d’Italie et d’Espagne à la Renaissance. Des musiques intimistes, pour être jouées non dans des salles de concerts mais plutôt dans des salons pour des happy fews. Cinq compositeurs anglais sont ici représentés dans leur diversité, de Thomas Morley à Matthew Locke en passant par Tomas Hume, Michael East et Christopher Simpson, que nombre de mélomanes français découvriront alors que les gambistes français sont eux bien connus qu’il s’agisse de Louis Couperin ou Bodin de Boismortier et surtout Monsieur de Sainte-Colombe et son disciple Marin Marais ou encore Caix d’Hervelois ici révélé. De la belle ouvrage.
Rose & Lys, E.Lewis-Cloué, O. Gladhofer, violes de gambe, 1 CD Hortus 187
Beethoven, un nouveau manifeste
Le piano Gebauhr fabriqué en 1850 à Königsberg (Kalinigrad) revêt des qualités sonores qui le placent bien au dessus des instruments dont Beethoven disposait ; il jouit en effet d’« un timbre soyeux dans le grave et le médium quand l’aigu s’enrichit d’une sonorité cristalline », ainsi que le qualifie Thierry Maniguet, Conservateur du Musée de la Musique à Paris. Or les Sonates de Beethoven dépassaient celles qu’avaient écrites Haydn et Mozart ; avec celles-ci un monde nouveau s’ouvrait et ce dès l’opus 2 et ses sonates n°1 et 3 – elles datent de 1895 – qui figurent ici sous les doigts experts du pianiste, chambriste et pédagogue français Simon Zaoui qui sait les mettre en valeur en faisant chanter à merveille ce Gebauhr. Il en va de même avec la Sonate n°13, l’une des deux de l’opus 27 de 1801 ; c’est la maturité pour Beethoven, authentique « manifeste » romantique qu’il construit là progressivement, un monument pianistique. Ce récent CD de Simon Zaoui vaut qu’on y prête l’oreille avec plaisir.
Beethoven, un nouveau manifeste, Sonates n°1/3/13, S. Zaoui, piano, 1 CD Hortus 194
Couperin au clavecin
Ce Couperin-ci (1727-1789) était cousin de François Couperin (« Le Grand ») et, comme lui et son propre père Nicolas Couperin, brillant titulaire de l’orgue de l’église Saint-Gervais à Paris. Il fut aussi un maître du clavecin qui sous ses doigts, atteignit son apogée au milieu du XVIIIesiècle. Ses « Pièces de clavecin » publiée en 1751 (il avait tout juste 24 ans) son le splendide chant du cygne de cet instrument auquel allait succéder le pianoforte, et dont joué par Christophe Rousset – un instrument de cet époque- il laisse deviner les accents. Ce sont là 22 pages dédiées à la cinquième fille de Louis XV, Victoire (c’est aussi le titre de la première pièce), musicienne talentueuse, d’une grande diversité, alliant des accents élégiaques (« L’affligée ») à des jeux pleins de gaîté et d’humour. Nombre de ces pages portent le nom des élèves d’Armand-Louis, voisinant avec des menuets et gavottes ou exprimant de sentiments variés, la dernière s’articulant en quatre tableaux consacrés à quatre Nations, l’Italie, l’Angleterre, l’Allemagne et la France. Le maître Christophe Rousset porte des pièces au pinacle avec une belle virtuosité qu’on salue, chapeau bas !
Armand-Louis Couperin, Pièces de clavecin, Chr. Rousset, clavecin, 2 CD Aparté AP236
Un Beethoven apollinien
On ne sait trop qui arrangea, sous la forme d’un Quintette à cordes avec deux violoncelles, la Sonate dite « à Kreutzer » de Beethoven ainsi publiée en 1831. C’était la neuvième et très virtuose des dix sonates pour violon et piano que Beethoven composa au tournant du XIXesiècle dont Kreutzer à qui elle était dédiée déclara qu’elle était « inintelligible » et qui ne la joua jamais ! Ici, sous cette forme originale, elle resplendit sous les doigts et archets des musiciennes du Quatuor Zaïde renforcé pour l’occasion par le violoncelliste solo de la Philharmonie de Berlin Bruno Delepelaire ; les basses se substituent au piano harmonieusement. C’est très beau. Tout comme le troisième Quatuor de l’opus 18 contemporain de la Symphonie Héroïque, publié en 1801, en réalité le premier quatuor composé par Beethoven, quatre mouvements d’une grande intensité esquissant ce que deviendrait bientôt le quatuor sous la plume du compositeur, forme éminente de la musique de chambre à laquelle le Quatuor Zaïde rend justice avec grâce et rigueur mêlées ; une très belle lecture à quoi on adhère sans réserve.
Ludwig, Beethoven, Kreutzer Sonata (arr.), Quartet n°3 Op.18, Quatuor Zaïde, B. Delepelaire, violoncelle, 1 CD NoMadMusic NMM079.
Gaumont Palace
Imaginez la plus grande salle de cinéma du monde (6000 places) ; elle est à Paris, c’est le Gaumont-Palace (Place Clichy). On y projette des actualités, des documentaires en première partie de séance puis, en seconde partie, un grand film et l’entracte est composé d’un spectacle ou d’un concert orgue de cinéma et orchestre. Nous sommes en 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale ; dans la fosse l’Orchestre du chef d’orchestre et violoniste Georges Tzipine, grand connaisseur de la musique française, à l’orgue de cinéma Christie Georges Ghestem, bien oublié à tort. Ils interprètent quatorze pages d’œuvres d’une belle diversité arrangées le plus souvent par ces deux musiciens, des « Trois Valses » d’Oscar Straus (tirées du film homonyme de Ludwig Berger sorti en 1938) à la « Rhapsodie in Blue » de Gershwin (sans doute le premier enregistrement de cette œuvre en Europe) en passant par des arrangements de Schubert, Ravel (Boléro), Grieg (Chanson de Solveig), Offenbach (Orphée aux Enfers), Chopin (Tristesse) ou Planquette (Les Cloches de Corneville) entre autres. C’est parfaitement restauré et roboratif !
Rendez-vous au Gaumont Palace,Orchestre du Gaumont-Palace, G. Tzipine, violon et dir., G. Ghestem, orgue, 1 CD Hortus 160
Magic Mozart
C’est la magie que suscite la musique de Mozart sous toutes ses formes et couleurs que Laurence Equilbey à la tête de son Insula orchestra a voulu mettre en scène, proposant pour la Compagnie 14:20, un ballet composé d’un florilège d’airs empruntés aux opéras emblématiques de Mozart, de « Bastien et Bastienne » et « La Finta simplice » à « La Flûte enchantée » en passant par le trilogie Da Ponte, « Les Noces de Figaro », « Don Giovanni » et « Cosi fan tutte » ; à quoi elle a ajouté quelques pages orchestrales puisées notamment dans « Pantalon et Colombine » en interlude. Elle a fait appel pour chanter ces airs, qui sont dans toutes les mémoires de mélomane, à la fine fleur des chanteurs mozartiens français de notre temps, les sopranos Jodie Devos et Sandrine Piau, la mezzo-soprano Leo Desandre, les ténors Stanislas de Barbeyrac et Loïc Félix et le baryton Florian Sempey ; on ne les présente plus. Ils sont les incarnations idéales en ce moment des personnages que la musique de Mozart transcende magiquement. Au disque, une bien belle anthologie qu’on ne se lasse pas de réentendre.
Magic Mozart, solistes et Insula Orchestra, L. Equilbey, dir., 1 CD Erato 019029525261979
La musique de Zeisl
Ce CD est un hommage rendu au compositeur austro-américain Éric Zeisl (1905-1959), natif de Vienne et qui dut fuir le nazisme en1938, pour gagner les Etats-Unis en 1939, via Paris où il bénéficia du soutien et de l’amitié de Darius Milhaud qu’il retrouva lorsque celui-ci gagna à son tour en 1940 les Etats-Unis. Tous deux y enseignèrent, tout comme le violoniste et pédagogue français Ambroise Aubrun, docteur de l’Université de Californie et aujourd’hui professeur à l’Université du Nevada. C’est à l’Université de Californie qu’il a découvert la musique d’Éric Zeisl dans ses papiers et qu’il fait découvrir ici : une page dédiée à Darius Milhaud « Menuchim’s Songs », de 1939, une Sonate pour violon et piano de 1939 (le pianiste belge Steven Vanhauwaert l’accompagne remarquablement) intitulée « Brandeis Sonata » nom de l’institut où enseigna Zeisl et une page de sa Suite op.2, « Zigeunerweise » (à la manière tzigane) de 1919. Musique imprégnée de religiosité et intégrant un héritage hébraïque tout en délicatesse. Et en prime dans le même style néoclassique , la Sonate pour violon et piano, contemporaine, de Milhaud. C’est limpide et d’un jeu parfait.
Paris – Los Angeles, Milhaud, Mozart, Zeisl, A. Aubrun, violon, S. Vanhauwaert, piano, 1 CD Hortus 189.
Méditations pour le Carême
On connaît Sébastien de Brossard en tant que compositeur ; on le retrouve dans ce CD dans deux motets, l’un, « Salve Rex Christe », pour deux voix égales (deux ténors) qui dialoguent harmonieusement (Paco Garcia et Martin Candela), l’autre, « O plenus irarum dies », pour basse (Étienne Bazola) et continuo d’une étonnante diversité. Il fut aussi un formidable collectionneur de musiques aujourd’hui déposées à la BNF. Grâce à lui, on peut entendre ce chef d’œuvre de musique sacrée que sont les « Méditations pour le Carême » de Marc-Antoine Charpentier, une série de dix tableaux qui s’inspirent, pour neuf d’entre elles, de la Passion du Christ, la dixième évoquant le sacrifice d’Isaac par son père Abraham : trois voix d’hommes, ténor, baryténor et basse, qu’accompagne la basse continue (Juliette Guignard à la viole de gambe, Étienne Galletier au théorbe et Louis-Noël Bestion de Camboulas à l’orgue d’où il dirige l’ensemble Les Surprises). Superbe réalisation qui exalte cette musique pétrie de religiosité, typique de la fin du XVIIesiècle.
Méditations pour le Carême, M.-A. Charpentier, Ensemble Les Surprises, L.-N. Bestion de Camboulas, dir., 1 CD Ambronay Éditions AMY056
Les « Canticles » de Britten
Britten eut pour compagnon durant quarante ans le ténor Peter Pears pour lequel il écrivit toutes ses mélodies. Ce fut le cas de ces cinq « Canticles » qu’il composa sur des textes de Francis Quarles, (My beloved is mine), T.S. Eliot (Journey of the Magi et The death of Saint Narcissus) et Edtih Silwell (Still falls the rain) ou emprunté aux « Chester Miracle Plays » (Abraham and Isaac). Aux côtés des solistes vocaux – outre le remarquable ténor Cyrille Dubois, à l’origine de ce récital, on entend le contre ténor Paul-Antoine Bénos-Djian émouvant dans le « Canticle II » (Isaac auprès d’Abraham) – sonne puissamment le piano de l’excellente Anne Le Bozec ou, ponctuellement, la fine harpiste Pauline Haas qui interprète subtilement l’interlude de « A Ceremony of Carols », et le cor de Vladimir Dubois qui ouvre somptueusement ce CD avec le Prologue de la « Serenade op. 31 », sans oublier le talentueux Marc Mauillon dans le médiéval « Magi videntes stellam ». À découvrir.
Benjamin Britten, Canticles, C. Dubois, ténor, A. Le Bozec, piano & alii, 1 CD NoMadMusic NMM077.
L’Énigme de Busoni
Ferruccio Busoni (1866-1924), pianiste, chef d’orchestre, pédagogue, est aussi un compositeur énigmatique ; il est surtout connu en France pour ces transcriptions somptueuses d’œuvres de Bach. Ce CD est une double découverte, celle du musicien pour le piano que fut Busoni et celle d’un formidable pianiste, le belge Steven Vanhauwaert, réputé dans le monde entier sauf en France ! Il interprète ici à la perfection deux « Élégies » composées en 1907, les cinq pages qui constituent l’« Indianisches Tagebuch » (Journal indien) de 1915 et surtout deux monuments consacrés à Bach, révélant une profonde connaissance de l’œuvre du Cantor de Leipzig, la « Fantasia nach J.S. Bach » de 1909, hommage à son père qui fut son premier maître, et qui reprend trois chorals de Bach pour se terminer, comme le dit fort justement Steven Vanhauwaert « de manière énigmatique », et l’immense « Fantasia Contrapuntistica » de 1910, douze pages mêlant entre autres quatre fugues et trois variations, qui n’est rien moins que l’achèvement du XIVeContrepoint laissé inachevé par Bach de l’« Art de la Fugue ». Splendide.
Ferruccio Busoni, L’Énigme, S. Vanhauwaert, piano, A CD Hortus 191.
« Tide » par Aurélien Dumont
Rares sont les CD consacrés à la musique contemporaine. En voici un qui mérite qu’on y prête l’oreille. Le compositeur français Aurélien Dumont, lauréat de plusieurs grands prix internationaux, propose ici, selon ses propres mots, des œuvres qui « construisent une « quête de la marée » », à la fois dans ses dimensions physiques et poétiques ». « Marée » (« Tide » en anglais), c’est le titre générique des pages de cet album dont la notice qui l’accompagne nous dit que « ce sont des briques de langagequi (…) dessinent un discours musical en résonance avec la philosophie (…) et les autres arts ». Elles s’articulent en trois moments très différents, « Flaques de Miettes », dix courtes pages fort bien jouées par l’Ensemble 2E2M que dirige excellemment Pierre Roulier, « Âpres Bryone », sur quatre poèmes Emily Dickinson distillées à ravir par Hélène Fauchère qui maîtrise admirablement la musique d’aujourd’hui, avec une belle diction, et « Baïnes » quatre pages d’une grande finesse, au piano, dans « Blink » et « Jupiter », la chaleureuse Véronique Briel.
Aurélien Dumont, Tide, Ensemble 2E2M, P. Roullier dir., H. Fauchère, sop., 1 CD NoMadMusic, NMM081.
Bach et ses trios pour clavier et violon
Directeur de la musique de chambre du Prince Léopold d’Anhalt-Cöthen en 1717, Bach le resta jusqu’en 1723 lorsqu’il se rendit à Leipzig. Durant ce séjour il composa la plus grande partie de sa musique instrumentale. C’est là qu’il donna naissance à ses six « Sonates en trio pour clavecin et violon » qui, comme des sonates d’église, s’articulent en quatre mouvements, lent – vif – lent – vif, à l’exception de la dernière en cinq mouvements, le troisième étant destiné au seul clavecin. Elles se composent de trois lignes distinctes, deux au clavecin et une au violon, la première du clavecin dialoguant avec le violon sur fond de basse continue qu’est la seconde du clavecin. La violoniste Odile Edouard et l’organiste et claveciniste Freddy Eichelberger, rompus au jeu des instruments anciens, ont eu l’heureuse idée de transposer les deux parties de clavecin à l’orgue, usant d’instruments anciens (trois violons) ou les imitant (les trois orgues). Le résultat est fascinant où le violon se fond dans l’orgue dialoguant sous un contrepoint rigoureux, élégiaque parfois ou teinté souvent d’allégresse.
J.S. Bach, Trios pour clavier et violon, O. Edouard, violon, F. Eichelbarger, orgue, 3 CD Encelade ECL 1704
Entre Italie et Hongrie
Voici le second album de l’ensemble Prisma fondé en 2014 qui s’intéresse à « la musique pittoresque, bizarre, chromatique et fantastique ». Avec ce CD, on n’est pas déçu, qui célèbre l’union musicale de la Hongrie, de la Roumanie et de l’Italie dès le XVesiècle et s’est développée au XVIe, mettant en valeur l’influence artistique des premières sur la seconde, ce qui, pour nombre de mélomanes, sera une découverte. Les dix-sept pages ici rassemblées traduisent pertinemment la diversité de ces musiques souvent puisées dans le Codex Caioni, un recueil hongrois compilé au siècle suivant. Cela s’ouvre sur une « Toccata » du violiste de l’ensemble Prisma, David Budai, hommage à l’organiste Girolamo Diruta qui dédia sa collection au Prince de Transylvanie Sigismund Bathory sous le titre « Il Transilvano » qui est aussi celui de cet album. La violoniste Franciska Hajdu prête sa voix aux trois chansons traditionnelles hongroises qui sont comme des miroirs face aux œuvres des compositeurs italiens Tarditi, Marini, Picchi. Délicat Solo au kaval d’Élisabeth Champollion. Cet élégant CD vaut le détour.
Prisma – Il Transilvano, Musical bridges between Italy and Hungary around 1600, Ensemble Prisma, 1 CD Ambronay AMY312
Haydn à Paris
Beethoven nous offrit 9 symphonies ; Haydn en avait composé 104 ! Maître de chapelle du Prince Esterhazy pour lequel il produisait musique et spectacles, il put aussi en écrire pour d’autres amateurs et mélomanes ; ce fut ainsi qu’en 1785 où il reçut commande en France du comte d’Ogny de six symphonies créées avec un immense succès en 1787 à Paris où telles de ces œuvres furent dotées (manie bien française) d’appellation diverses évoquant certains mouvements ou passages de certaines symphonies ; par référence au dernier mouvement de la 82esymphonie celle-ci fut surnommée « L’Ours » tandis que la 83efut dite « La Poule » allusion au premier mouvement ; quant à la 85e, on l’appela « La Reine » parce que Marie-Antoinette l’avait fort appréciée ! Ce sont des pages remarquables d’une variété étourdissante, d’une finesse d’écriture incomparable, marquée au coin d’un humour discret qu’exalte à ravir l’Orchestre de chambre de Paris qui en quarante ans s’est imposé comme un des meilleurs ensembles de ce type ; ici sous la direction parfaite de Douglas Boyd.
Joseph Haydn, Symphonies parisiennes n°82 à 87, Orchestre de chambre de Paris, D. Boyd, dir., 2 CD NoMadMusic NMM078
Les Sonates de Guillemain
Louis-Gabriel Guillemain (1705-1770) qui, au milieu du XVIIIesiècle, fut le musicien le mieux payé parmi ceux de la Chapelle et de la Chambre du Roi, est aujourd’hui bien oublié. Il composa pourtant une bien belle musique comme en témoigne ce CD que nous offre l’ensemble la Française, cinq interprètes très bons connaisseurs de la musique de la fin du baroque et précédant celle de l’époque classique, durant ce qu’on a appelé en France le « style rocaille ». Il s’agit là du « Second livre de sonates en quatuor, œuvre XVII » de Guillemain (1756), six sonates chacune en trois mouvements (vif-lent-vif) que le compositeur sous-titra plaisamment « Conversations galantes et amusantes entre une flûte traversière, un violon, une basse de viole et la basse continue », ce qui caractérise finement ces œuvres délicates et roboratives, merveilleusement interprétées par La Française que dirige depuis sa flûte Aude Lestienne, ensemble franco-japonais qui joue sur copie d’instruments anciens. On avait salué il y a deux ans leur premier CD « Pour la Duchesse du Maine ». On applaudit à ce second CD parfaitement réalisé. À découvrir.
Louis-GabrielGuillemain, Second livre de sonates en quatuor, œuvre XVII, Ensemble la Française, 1 CD Musica Ficta MF8034
Les émotions de Gautier Capuçon
Le talentueux GautierCapuçon est un des plus remarquables violoncellistes de sa génération. Son dernier CD vaut le détour ; sous le titre « Émotions », il offre aux mélomanes un florilège d’œuvres variées, choisies avec discernement ; il va de l’« Hymne à l’Amour » de Marguerite Monnot que popularisa Édith Piaf au fameux « The Entertainer » de Scott Joplin en passant par des pages célèbre de Debussy (Clair de lune), Monti (Csardas), Dvořák (le Chant à la lune de Rusalka), Schubert (Ave Maria), Satie (la 1èreGymnopédie), Albinoni (Adagio), entre autres mais aussi des œuvres de Tchaïkovski, Mendelssohn, Fauré, Elgar ou Piazzolla, voire de Leonard Cohen, Ludovico Einaudi, Michael Nyman ou l’émouvant hymne des Jeux Olympiques de Pékin (2008) du compositeur chinois Qigang Chen. L’émotion est bien présente ici et là où le soliste est accompagné par l’excellent pianiste Jérôme Ducros ou fort bien entouré par l’Orchestre de chambre de Paris et (pour l’Ave maria) la Maîtrise de Notre-Dame sous la houlette experte d’Adrien Perruchon. Le violoncelle chante ici avec de sublimes intonations …humaines !
Émotions, (œuvres diverses), G. Capuçon, violoncelle, Orchestre de chambre de Paris, A. Perruchon, dir., J. Ducros, piano, Maîtrise de Notre-Dame, 1 CD Erato.
Jephté, une tragédie sacrée
Le librettiste de cette tragédie sacrée, l’abbé Pellegrin, s’est inspiré librement du Livre des Juges, puisé dans la Bible, pour ce livret que Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737), a mis en musique et qui connut un immense succès au XVIIIesiècle, plus de cent représentations en trente ans. Créée en 1732 cette tragédie fut remaniée par ses auteurs, et c’est la version définitive de 1737 qu’on peut écouter dans ce superbe enregistrement qui réunit autour du Purcell Choir et de l’Orfeo Orchestra (ensembles hongrois) finement dirigé par le maestro Gyory Vashegyi qui sait exalter une partition d’une grande richesse et d’une formidable orchestration, une pléiade de solistes rompus à ce répertoire. On conte ici l’histoire de Jephté, chef des Israélites aux prises avec les Ammonites, qui promet à Dieu de sacrifier, en cas de victoire sur ses ennemis, la première personne qu’il croisera. Vainqueur, il croise sa fille Iphise et le voilà confronté au risque d’un parjure ou d’un parricide. C’est fort bien raconté, en un prologue et cinq actes solidement charpentés.
Michel Pignolet de Montéclair, Jephté, Tragédie. Paris, 1737, Purcell Coir, Orfeo Orchestra, G. Vashegyi, dir., 2 CD Glossa GCD 924008
Le monde de Buxtehude
Ces « Sonate à due » pour violon, viole de gambe et clavecin de l’austère Buxtehude (c. 1637-1707) sont une révélation. Elles portent les n° d’opus 1 et 2 se composant de sept sonates chacun et s’articulant en un nombre variable de mouvements d’une extraordinaire diversité. Elles ressortissent en effet tout à la fois du « stylus phantasticus » en vogue en Allemagne en cette fin de XVIIesiècle que du style italien qui séduira Bach plus tard ou même du style français. Elles exaltent les instruments ici mis en valeur témoignant du respect de la musique traditionnelle de la part de Buxtehude, organiste révéré de la Marienkirche de Lubeck, et d’une recherche futuriste tout à fait inattendue. Point de danse à la française ici et pourtant l’envie de danser se fait jour à l’écoute de ces pages magnifiquement exécutées par l’ensemble Les Timbres (la violoniste japonaise Yoko Kawakubo, la violiste française Myriam Rignol et le claveciniste belge Julien Wolfs), trois musiciens d’une merveilleuse complicité qui font chanter des œuvres chatoyantes. Hautement recommandable !
Dietrich Buxtehude, Sonate à doi, opus 1 & 2, Les Timbres, 2 CD Flora 4320
Le luth de Livius Leopold Weiss
Originaire de Bogota (Colombie) où il est né en 1977, Diego Salamanca est un musicien qui maîtrise à merveille cet instrument à cordes pincées qu’est le luth qui a connu ses heures de gloire aux XVIIeet XVIIIesiècles avant de céder la place au clavecin. Il propose, pour son premier enregistrement en soliste, un riche programme d’œuvre de Silvius Leopold Weiss (1687-1750) exact contemporain de Bach qu’il a peut-être rencontré et qui lui a emprunté une sonate pour la partie de clavecin de sa « Sonate pour violon et clavier BWV 1025 ». On découvre ici des pages d’une grande richesse harmonique et mélodique, exigeant en outre une grande virtuosité ce dont dispose à l’envi le luthiste Salamanca qui joue un instrument perfectionné par Weiss lui-même qui offre d’infinies possibilités à l’instrumentiste. Deux Sonates sont à écouter ici, de forme traditionnelle, dont on admire le côté virtuose des « Courantes » ou la dimension élégiaque des « Sarabandes » ; à quoi s’ajoutent deux pages fort élégantes, une « Ouverture » en entrée et une subtile « Fantaisie en do mineur ». Musique intimiste ; à savourer.
S.L. Weiss, Pièces de luth, D Salamanca, luth, 1 CD Seulétoile SE01
Orgue et Sacrements
Voici un CD qui ravira les mélomanes catholiques. Le compositeur, organiste et pédagogue Grégoire Rolland est titulaire depuis 2018 de l’orgue de la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix-en-Provence. Il a voulu promouvoir son orgue romantique et les tableaux qui ornent son baptistère, consacrés aux sacrements chrétiens. Sept tableaux de belle facture académique donc, peints entre 1846 et 1848 par des artistes aixois. L’idée du compositeur était d’associer le chant grégorien de l’époque médiévale s’exprimant selon ses huit modes à des compositions en miroir évoquant les sept sacrements (auxquels le compositeur a ajouté un huitième sacrement, celui « du frère » ou autrement dit « de la charité »). C’est le Chœur Grégorien de la cathédrale d’Aix en Provence qui chante remarquablement les pages consacrées aux sacrements puisées dans la tradition restaurée de l’Abbaye de Solesmes (Introïts, Antiennes, Hymne, Graduel, Communion). En écho Grégoire Rolland a composé huit pièces tout à la fois délicates et puissantes, exploitant à la perfection les capacités de son instrument. Un fort beau livret accompagne ce CD reproduisant notamment les sept tableaux du baptistère.
Grégoire Rolland, Les Sacrements, G. Rolland, orgue, Chœur grégorien de la cathédrale d’Aix en Provence, 1 CD Hortus 195
Orgue et trompette, Moussorgski et Schumann
C’est après une visite à un exposition d’œuvres de son ami le peintre Hartmann récemment décédé que Moussorgski composa cette suite décrivant, ponctués d’une promenade, dix tableaux du peintre. Cette œuvre pour piano est surtout connue au travers de maints arrangements et transcriptions, le plus célèbre étant celle que fit Ravel pour orchestre. Celle que l’on entend ici est enregistrée pour la première fois et vaut d’être écoutée ; elle fait dialoguer une trompette qui étincelle sous les doigts de Guy Touvron et un orgue, celui de la cathédrale de Blois, que Vincent Grappy fait sonner somptueusement. Complément non négligeable à ces « Tableaux », les « 4 Esquisses » et les « 6 Études en forme de canon » opus 56 et 58 pour « piano à pédalier » que Robert Schumann composa à Dresde en 1845 et ici transcrites pour orgue, brossent des images en miroir à celles que Moussorgski devait composer plus tard. C’est remarquablement mis en forme par Vincent Grappy sur l’orgue de la cathédrale de Blois qui, symphonique, sonne avec douceur et éclat mêlés. À écouter avec ferveur !
Modeste Moussorgsky, Tableaux d’une exposition, G. Touvron, trompette, V. Grappy, orgue, 1 CD Hortus 196
Boismortier Les Voyages de l’Amour
Pour son premier opéra (1736), intitulé « Ballet » (car la danse y occupait une place non négligeable), Joseph Bodin de Boismortier bénéficia d’un livret de Charles-Antoine Leclerc de la Bruère salué par ses contemporains pour ses qualités dramatiques. Il conte la recherche que fait l’Amour de la compagne idéale, aimante et fidèle et fait l’éloge de la vie pastorale contrastant avec « la légèreté de la ville » ou « la mondanité de la cour ». Les différents personnages de cet opéra sont confiés à cinq solistes, en tous points remarquables. Qu’on en juge : Chantal Santon Jeffery incarne L’Amour omniprésent dans le prologue et les quatre actes, accompagnée de Zéphyre chanté par Katherine Watson ; à Judith van Wanroij le rôle de Daphné qu’Amour veut séduire, les autres personnages étant joués par Katia Velletaz, Éléonore Pancrazi, le baryton Thomas Dolié. Tous six sont parfaits dans leurs rôles respectifs bien différenciés en ce qui concerne les sopranos ; à leurs côtés deux ensemble hongrois, le Purcell Choir, excellent (diction remarquable) et l’Orfeo Orchestra que dirige magistralement Gyögy Vashegyi, exaltant une riche partition.
Joseph Bodin de Boismortier, Les Voyages de l’Amour, ballet, Solistes, Purcell Choir et Orfeo Orchestra, G. Vashegyi, dir., 2 CD Glossa GCD 924009
Vivaldi : Quatre Saisons hivernales
Les mélomanes français ont découvert en 2017 au Festival d’Aix-en-Provence la jeune violoniste moldave Alexandra Conunova aujourd’hui âgée de trente-deux ans. Elle a étudié le violon à Rostov puis en Allemagne et en Suisse où elle a suivi les cours de Renaud Capuçon qui l’a invitée…à Aix-en-Provence ! À juste titre, car cette jeune artiste, lauréate de nombreux prix internationaux, a joué sous la houlette de chefs prestigieux et aux côtés de maints chambriste réputés. En pleine pandémie Covid-19, elle a eu envie d’interpréter les « Quatre Saisons » de Vivaldi qu’elle avait connues dans son enfance. Pour ce faire elle a réuni autour d’elle douze jeunes musiciens amis et ils ont enregistré en août dernier à Aubonne en Suisse l’œuvre la plus populaire de Vivaldi. On sait combien cette œuvre a bénéficié de maints enregistrements de qualité ; force est de constater que celui-ci ne démérite pas. Il revêt une dimension chambriste voire intimiste qui lui sied à ravir et le violon Guadagnini de 1735 sonne merveilleusement sous les doigts et l’archer d’Alexandra Conunova fort bien accompagnée pas ses amis. Que du bonheur !
Vivaldi, Le Quattro Stagioni, A. Conunova, violon et alii, 1 CD Aparté AP 242
Des Schubertiades
Voici des œuvres de la maturité que Schubert composa peu avant de disparaître, qui s’inscrivent dans le droit fil du chemin tracé par Beethoven ; l’admirable trio pour piano et cordes plein s’allant voire de fougue même, finement distillé par le Trio Talweg qui a vu le jour en 2004 et qui a trouvé tout sa place parmi les meilleurs chambristes de notre temps : miroir du fameux Trio dit de « l’Archiduc » de Beethoven, celui-ci s’articule en quatre mouvements où les rythmes subtiles alternent avec des mélodies alertes ou élégiaques, ce qu’on retrouve dans la transcription réalisée par les Talweg du Lied Auf dem Storm (Sur la rivière), poème de Ludwig Rellstab, qui clôt ce récital. Quant au Notturno D.897, ce devait être le second mouvement – Adagio – du Trio n°1 qu’abandonna Schubert et que publia Diabelli sous ce titre en 1836. Les notes piquées du piano contrastent avec les langoureuses mélodies exaltées tout en douceur par les cordes. Chefs d’œuvre que ces pages que le Trio Talweg met remarquablement en valeur, dans l’esprit des « Schubertiades » viennoises.
Franz Schubert, Trio n°1 D.898, Notturno D.897, Auf dem Storm D.943, Trio Talweg, 1 CD NoMadMusic NMM084