Les Femmes et l’Opéra – 2 – Héroïnes antiques à l’Opéra

Les Femmes et l’Opéra – 2 – Héroïnes antiques à l’Opéra

Si Médée est l’une des héroïnes légendaires de l’Antiquité grecque la plus fréquemment représentée en musique et singulièrement à l’opéra, sans doute à cause de son humanité déchirée et de sa psychologie complexe, il en est d’autres qui n’ont pas manqué de retenir abondamment l’attention des musiciens. Certaines d’entre elles méritent qu’on s’y attarde à des titres divers : Antigone, Ariane, Clytemnestre, Daphné, Électre, Hélène, Iphigénie, Pénélope ou Phèdre sans oublier certes Eurydice ou Didon mais celles-ci sont généralement associées la première à Orphée la seconde à Enée ; elles feront l’objet d’un étude ultérieure.

– DAPHNÉ
La première qui apparut dans les tous premiers opéras, à l’aube du XVIIe siècle fut une nymphe, Daphné, que le dieu Apollon avait voulu séduire. Selon la légende, se faisant des plus pressants, le dieu fut repoussé par la nymphe qui, invoquant son père, le dieu-fleuve Pénée, fut métamorphosée en un laurier. Cette plante devint l’arbre préféré d’Apollon déçu de son échec amoureux.
Ce sujet fut donc traité dès la naissance de l’opéra par les compositeurs italiens tels que Jacopo Peri associé au mécène florentin Jacopo Corsi qui mirent en musique une pastorale d’Ottavio Rinuccini sur ce thème (1598) ; on considère que ce fut là le premier opéra de style monodique, le stile rappresentativo, où les soli vocaux sont soutenus par des instruments. Giulio Caccini composa peut-être un opéra sur ce même sujet, mais il semble perdu. Dix ans plus tard, Marco da Gagliano fit jouer à Mantoue sa Dafne qui connut un beau succès. Le sujet fut repris en Allemagne, en 1627, par Heinrich Schütz qui mit en musique une traduction par Opitz de la pastorale de Rinuccini: composé à Torgau et présenté favorablement au château de Hartenfels, ce fut aussi le premier opéra allemand. Puis l’on vit à Bologne la Dafne de Giuseppe Aldrovandini (1696), celle d’Alessandro Scarlatti à Naples (1700), la Dafni, deuxième opéra du baron sicilien Emanuele d’Astorga (qui en composa trois) représenté à Gênes en 1709 reprise à Barcelone la même année puis à Breslau (1726). Plus près de nous, le Sicilien Giuseppe Mulè fit jouer sa Dafni à Rome en 1928. Ne pas oublier la tragédie bucolique en un acte de Richard Strauss sur un livret de Josef Gregor, Daphné, créée à Dresde en 1938, qui suit d’assez près la légende mythologique mais ici c’est Apollon qui, désespérant d’obtenir les faveurs de Daphné, obtient de Zeus qu’il la change en laurier et c’est sous cette forme que la nymphe continuera à se faire entendre, en chantant bien sûr.

– ANTIGONE
Le destin tragique d’Antigone retint plus souvent l’attention des musiciens et librettistes et donna lieu à une trentaine d’opéras s’inspirant de près ou de loin de la tragédie de Sophocle (Athènes, 441 avant J.-C.). On sait qu’Antigone née de l’union incestueuse d’Œdipe et de Jocaste, la mère de celui-ci, accompagna son père à Colone après qu’il se fut arraché les yeux en apprenant son crime involontaire. Elle revint à Thèbes pour inhumer son frère Polynice tué lors du combat fratricide qui l’opposa à son frère Étéocle. Leur oncle Créon qui avait pris le pouvoir à Thèbes avait interdit cette inhumation mais Antigone brava l’interdit et fut condamnée à être enterrée vive dans une grotte où elle se suicida, bientôt rejointe dans la mort par son fiancé Hémon, fils de Créon.
On trouve ce sujet traité à l’opéra à l’aube du XVIIIe siècle par le compositeur florentin Giuseppe Maria Orlandini qui écrivit une Antigona pour le Carnaval de Venise de 1718 (œuvre reprise et révisée pour Bologne en 1727 sous le titre La Fedeltà coronata). Autres pièces significatives, l’Antigona du musicien vénitien Baldassare Galuppi montée à Rome en 1751 ou celle du musicien napolitain Tomaso Traetta, montée à Saint-Pétersbourg en 1772 sur un livret de Coltellini inspiré de Metastasio (1764), où le chœur joue un rôle non négligeable et qui fait fi de la virtuosité pour exalter les affetti. À la fin du siècle, le Napolitain Nicola Zingarelli, auteur de quelque trente-sept opéras, faisait monter à Paris sa propre Antigone qui y fut bien accueillie (1790). On retiendra encore parmi les œuvres significatives inspirées par ce sujet, la tragédie musicale d’Arthur Honegger – son seul véritable opéra, stricto sensu -, sur un poème de Jean Cocteau, Antigone, qui suit de près la légende grecque et où le musicien s’attache à suivre en musique le texte sur le tempo qui serait le sien s’il était parlé. Cette œuvre fut créée à Bruxelles en 1927. Enfin l’auteur des Carmina Burana, Carl Orff, composa une Antigonae, créée à Salzbourg en 1949, qui se voulait fidèle à la tragédie grecque dans ses formes musicales ; d’où l’importance de l’orchestre composé surtout de percussions et où le texte est une sorte de Sprechgesang à l’antique. Le texte de cet opéra en cinq actes est celui de Sophocle traduit en allemand au XIXe siècle par le poète Hölderlin. En 1995-1997, Mikis Theodorakis compose son opéra Antigone monté à Athènes en 1999.

– ARIANE et PHÈDRE
L’histoire de la fille de Minos et de Pasiphaé, Ariane, est bien connue, elle qui sauva Thésée en lui permettant de fuir du labyrinthe où il risquait fort de se perdre, qui la séduisit et l’abandonna sur l’île de Naxos où Dionysos l’enleva et la recueillit.
Une cinquantaine d’opéras ont pour thème cette légende, le premier étant l’Arianna de Monteverdi (1608), composé sur un très beau texte d’Ottavio Rinuccini, dont on n’a conservé que le fameux Lamento, page superbe au demeurant. Trente trois ans plus tard, en 1641, l’Ariadna abbandonata de Francesco Bonacossi fut un des premiers opéras montés à Vienne ; c’était sous le règne de Ferdinand III lui-même fin poète et compositeur de talent. À la fin du siècle, le compositeur d’origine hongroise Johann Sigismond Kusser, élève de Lully à Paris, mais qui fit carrière dans les pays germaniques, écrivit en 1692 une Ariadne qui fut montée à Brunswick où l’influence de Lully sur le plan instrumental est perceptible. À la toute fin du XVIIe siècle, on monta sans succès à l’Académie royale de Musique à Paris, une tragédie en musique en cinq actes de Marin Marais, sur un livret de Saint-Jean (dont on ne sait rien) qui a pour titre Ariane et Bacchus et qui est injustement oubliée. Ce sujet fut repris tout au long du XVIIIe siècle par maints musiciens parmi lesquels le Napolitain Nicola Porpora qui composa deux opéras consacrés à Ariane : Arianna e Teseo (livret de Domenico Lalli d’après Teseo in Creta de Pietro Pariati, créé à Vienne en 1714 et repris à Venise en 1727) et Arianna in Nasso (Ariane à Naxos, livret de Paolo Rolli, créé à l’Opera of the Nobility de Londres en 1733), l’Allemand Johann Georg Conradi, dont l’opéra Die schöne und getreue Ariadne ( La belle et fidèle Ariane) est le plus ancien opéra connu créé à Hambourg (1691), sujet repris en 1722 par son compatriote Reinhard Keiser sous le titre Die betrogen und nochmals vergötterte Ariadne (Ariane abusée puis déifiée, à Hambourg également), le Napolitain Leonardo Leo, auteur d’un opera seria intitulé Arianna e Teseo (sur le livret de Pariati et créé à Venise en 1721), le Vénitien Benedetto Marcello qui fit jouer à Florence (1727) son intreccio scenico musicale (intrigue scénique et musicale) Arianna, le Napolitain Francesco Feo (Arianna pour le Carnaval de Turin de 1728), Georg Friedrich Haendel (Arianna in Creta, livret adapté de Pariati par Francis Colman, créé au King’s Theatre de Londres en Janvier 1734, concurrençant ainsi l’opéra de Porpora monté le mois précédent), le Tchèque Jiri Antonin Benda qui innova en utilisant le mélodrame (récitatif parlé accompagné par l’orchestre) et composa un opéra intitulé Ariadne auf Naxos créé à Gotha en 1775 ; il fit forte impression sur Mozart qui le cita dans La Flûte enchantée. Citons encore le claveciniste, pianiste et compositeur français Jean-Frédéric Edelman dont le drame lyrique Ariane dans l’isle de Naxos fut monté à l’Opéra de Paris en 1782 : il était dédié à une certain Joseph Ignace Guillotin ; ironie tragique de l’Histoire, Edelman fut guillotiné à Paris le 17 juillet 1794. En 1792 enfin l’Allemand Peter von Winter vit créer à Munich son opéra intitulé Il sacrifizi di Creta ossia Arianna e Teseo (Le sacrifice de la Crète ou Ariane et Thésée). Il faut ensuite attendre l’aube du XXe siècle pour voir revenir Ariane sous la plume de Jules Massenet ; le livret de Catulle Mendès, aujourd’hui illisible pour sa prétention et son style archaïsant, conte les amours malheureuses à Naxos d’Ariane et de Thésée entre lesquels s’insinue Phèdre. Cet opéra en trois actes, créé à l’Opéra de Paris en 1906, connut un certain succès mais ce n’est sans doute qu’une œuvre mineure dans le répertoire de Massenet dont les emprunts stylistiques à Gluck ont été soulignés. Ultime référence à Ariane chez Richard Strauss, Ariadne auf Naxos (Ariane à Naxos) sur un livret d’Hofmannsthal, qui fut créé dans une première version à Stuttgart en 1912. C’était une adaptation du librettiste de la comédie-ballet de Molière Le Bourgeois Gentilhomme où la turquerie était remplacée par un opéra en un acte, Ariane à Naxos, signé Richard Strauss qui avait écrit en outre une musique de scène destinée à encadrer l’œuvre de Molière. Cette version nouvelle exigeait deux troupes, l’une d’acteurs parlant et l’autre de chanteurs ce qui était très coûteux. Librettiste et compositeur élaborèrent une seconde version qui vit le jour à l’Opéra d’État de Vienne en 1916 : la comédie de Molière passait à la trappe et un prologue avec les chanteurs d’opéra et une troupe de commedia dell’arte lui était substitué qui intervient durant l’acte unique contant l’abandon d’Ariane à Naxos. Il existe une version française de cet opéra signée P. Spaak qui fut montée à la Monnaie de Bruxelles en 1930 et reprise à l’Opéra-Comique de Paris en 1943 sous la baguette de Roger Desormière.
Ce fut la sœur d’Ariane, Phèdre, qui épousa Thésée et tomba amoureuse du fils que celui-ci avait eu d’un premier mariage, Hippolyte, qui la repoussa ; redoutant que Thésée n’apprît sa tentative de séduction, elle accusa Hippolyte de l’avoir voulu violer ce qui provoqua la colère de Thésée et la mort d’Hippolyte.
Ce sujet inspira Euripide et Racine et à leur suite quelques compositeurs dont Jean-Baptiste Lemoyne (Phèdre, Fontainebleau, 1786), Giovanni Paisiello (Fedra, au San Carlo en 1788), Nicolini (1803), Ferdinando Orlandi (Fedra, à Milan en1820), Giovanni Simone Mayr (Fedra, melodramma serio monté à Milan en 1820), John Fane Burghersh, aide de camp de Wellington et musicien amateur (Phedra, opéra créé en 1824 et fort justement oublié), Romano Romani (1915) et Ildebrando Pizzetti (Fedra, son premier opéra composé de 1909 à 1912 et monté à Milan en 1915), Darius Milhaud (deux de ses trois opéras-minute, L’Abandon d’Ariane et La Délivrance de Thésée, 1927), Marcel Mihalovici (Phèdre, 1949, monté à Stuttgart en 1951)) et Maurice Ohana (son opéra de chambre intitulé Syllabaire pour Phèdre, 1967, créé à Paris en 1968).

– PÉNÉLOPE
Ce personnage de l’Odyssée, symbole de la fidélité matrimoniale mise à l’épreuve par l’assiduité de prétendants fort peu désintéressés, qui attendit patiemment à Ithaque plus de dix années durant le retour de son époux, n’a pas manqué de retenir l’attention d’un certain nombre de musiciens de l’époque baroque. Pénélope soit seule ou souvent aussi associée à son époux Ulysse se retrouve en effet dans maints opéras des XVIIe et XVIIIe siècles.
Elle est le protagoniste des œuvres des compositeurs suivants : le musicien autrichien d’origine italienne Antonio Draghi, maître de chapelle de la cour impériale à Vienne donna, sur un livret de Nicolò Minato, une Penelope en 1670, l’un des nombreux opéras qu’il composa entre 1666 et 1700 pour la Cour impériale. Quinze ans plus tard, le compositeur vénitien Francesco Niccolini fit représenter à Venise une Penelope la casta (La chaste Pénélope) sur un livret de Matteo Noris, livret repris l’année suivante par Carlo Pallavicino également pour Venise dans un drame en musique portant le même titre, Penelope la casta. Ces drames lyriques furent suivis de la Penelope que l’Allemand Reinhard Keiser donna à Hambourg en 1702 (seconde partie d’un œuvre consacrée à Ulysse qui débutait par une Circé et Ulysse montée la même année en cette même ville). Puis ce furent le Parmesan Fortunato Chelleri qui donna en 1716 une Penelope la casta jouée durant le carnaval de Venise, et le Florentin Carlo Bartolomeo Conti qui offrit à Vienne au petit théâtre de Cour une Penelope, tragicomédie en trois actes sur un livret de Pietro Pariati (1724) tandis que le Vénitien Baldassare Galuppi donnait au King’s Theatre de Haymarket à Londres sa propre version de Penelope en 1741. A la fin du siècle des Lumières, à Palerme, Giuseppe Gazzaniga monta son opéra Penelope avant de travailler avec Niccolò Piccinni, célèbre pour la querelle qui l’opposa à Gluck, qui connut à Paris un échec cuisant avec sa propre Pénélope présentée à l’Académie royale de Musique sur un livret de Marmontel (1785). Considéré après le triomphe d’Il matrimonio segreto (Le Mariage secret) comme l’un des plus grands compositeurs d’Italie, Domenico Cimarosa connut à nouveau le succès avec sa Penelope donnée lors du carnaval de Naples de 1795, ce qui lui valut d’être nommé organiste de la Chapelle royale l’année suivante. Par delà le XIXe siècle qui ignora superbement la fidèle épouse d’Ulysse, on la vit réapparaître chez Gabriel Fauré qui mit en musique un livret de René Fauchois, Pénélope, légende homérique au langage musical raffiné montée d’abord à Monte-Carlo en mars 1913 puis à Paris au Théâtre des Champs-Élysées en mai suivant. Enfin Rolf Liebermann composa un opera semiseria sur un livret d’Heinrich Strobel créé à Salzbourg en août 1954 qui inscrivait la légende homérique dans le cadre de la Seconde Guerre mondiale. Pénélope apparaît encore aux côtés d’Ulysse dans maints opéras du XVIIe au XXe siècle. On aura l’occasion d’en parler ultérieurement.

– LES ATRIDES : HÉLÈNE, CLYTEMNESTRE, ÉLECTRE, IPHIGÉNIE

Leur légende.
Parce qu’elle est le fondement de nombre d’opéras, rappelons ici brièvement l’histoire légendaire des Atrides, Agamemnon, roi de Mycènes en Argolide et Ménélas son frère, roi de Sparte. Le premier épousa Clytemnestre dont il eut quatre enfants, trois filles Iphigénie, Electre et Chrysothémis et un fils Oreste ; le second épousa la sœur de Clytemnestre, Hélène, dont il eut une fille Hermione et peut-être encore deux autres enfants. On sait qu’Hélène fut enlevée ainsi que ses trésors par Pâris, fils du roi Priam, ce qui déclencha la guerre de Troie. Les souverains grecs s’unirent à Ménélas pour venger l’affront qu’il avait subi et l’aider à reprendre son épouse et ses biens ; ce fut ainsi qu’Agamemnon prit la tête de l’armée grecque rassemblée à Aulis pour franchir sur des navires le Bosphore ; mais la déesse Artémis irritée pour d’obscures motifs contre Agamemnon priva la flotte de vents favorables. Pour lever cet obstacle, une seule solution indiquée par le devin Calchas : Agamemnon devait sacrifier sa fille Iphigénie. En désespoir de cause, il l’attira à Aulis sous prétexte de la marier à son fiancé Achille ; elle y parvint en compagnie de sa mère Clytemnestre mais les deux femmes comprirent bien vite la raison de cette invitation et un drame éclata. Ce sujet fut traité par Euripide d’abord, par Racine ensuite et repris par nombre de librettistes sous le titre générique d’Iphigénie en Aulide.
Toutefois Artémis, émue par Iphigénie qui voulait se sacrifier pour permettre aux Grecs de franchir le Détroit, lui substitua une biche au moment opportun, l’enleva et la transporta en Tauride (la Crimée) où elle en fit sa prêtresse à charge pour elle de sacrifier tous les étrangers qui y passeraient. Au terme de la guerre de Troie qui dura, on s’en souvient, dix ans et vit la victoire des Grecs, ceux-ci regagnèrent leurs royaumes respectifs après bien des péripéties. Clytemnestre qui ne pardonnait pas à son époux Agamemnon d’avoir voulu sacrifier Iphigénie leur fille, vécut maritalement durant cette décennie avec son cousin Égisthe qui prétendait pour sa part au trône d’Argos ; tous deux fomentèrent l’assassinat, à son retour de Troie, d’Agamemnon et de Cassandre, fille de Priam qu’il ramenait avec lui. Les enfants d’Agamemnon échappèrent au massacre. Électre attendit le retour de son frère Oreste décidé à venger l’assassinat de leur père ; il tua Égisthe au cours d’un banquet et Électre l’incita à exécuter dans la foulée leur mère ce qui lui valut d’être poursuivi pour matricide par les Érinyes (Voir Sophocle). Si l’on en croit Eschyle, Athéna se fit son avocate tandis qu’Apollon qui protégeait sa fuite lui conseillait de voler la statue d’Artémis en …Tauride où elle était confiée aux soins d’Iphigénie ; alors qu’elle allait tuer Oreste (et son ami Pylade) Iphigénie reconnut son frère avec qui elle s’enfuit, sujet traité par Euripide et beaucoup plus tard par Goethe sous le titre d’Iphigénie en Tauride.

Leurs Héroïnes sur scène.
. HÉLÈNE.
Assez curieusement, Hélène de Sparte, fille mythique de Léda et de Zeus (sous les apparences d’un cygne, sujet bien connu des peintres baroques), incarnation de la beauté, épouse de l’Atride Ménélas, roi de Sparte, n’a guère inspiré les compositeurs à l’exception d’Offenbach et de Richard Strauss. Ce fut sur le mode parodique chez le premier qui écrivit là, sur un livret de Meilhac et Halévy, peut-être son chef d’œuvre (La Belle Hélène, créé au Théâtre des Variétés à Paris en 1864) qui, en caricaturant la mythologie grecque, brossait un tableau acide de la société du Second Empire. Le second composa, sur un livret d’Hofmannsthal, un opéra en deux actes monté à Dresde en 1928, Hélène d’Égypte, dont l’action se déroule après la guerre de Troie : Ménélas veut tuer Hélène responsable à ses yeux des malheurs de la Grèce, ce dont le dissuade la magicienne égyptienne Aithra qui a attiré le couple sur les côtes d’Égypte ; elle parviendra après diverses péripéties à réconcilier les deux époux grâce à l’apparition de leur fille Hermione. La musique de Strauss n’est pas parvenue ici à donner vie et chair à un livret par trop abstrait et cet opéra ne connut qu’un succès d’estime.
. ÉLECTRE.
Elle est le plus souvent associée à sa mère Clytemnestre qu’elle poursuit de sa vengeance. On la trouve réfugiée en Crète après le meurtre de son père dans la tragédie lyrique d’André Campra, Idoménée, créée en 1712, à l’Académie royale de musique de Paris au théâtre du Palais Royal, sur un livret d’Antoine Danchet. À la fin du XVIIIe siècle le Père Giambattista Varesco s’inspira du livret de Danchet pour écrire celui d’Idomeneo, re di Creta, opera séria en trois actes que Mozart mit en musique et qui fut créé au Théâtre de la Résidence dit Cuvilliés Theater (du nom de son architecte) à Munich en 1781 ; ici Electre est la rivale malheureuse de la princesse troyenne Ilia qui, comme elle, aime le prince Idamante fils du roi de Crète. À la même époque, Jean-Baptiste Lemoyne prétendait faussement avoir été un élève de Gluck, supercherie que Gluck ne révéla qu’après l’échec de l’opéra qu’il avait composé sur un livret de Nicolas François Guillard pour l’Opéra de Paris en 1782, et justement intitulé Électre… Il avait cette particularité, jugée du plus mauvais goût, de montrer aux spectateurs au dernier acte le meurtre de Clytemnestre par son fils. Trois ans plus tard, en 1785, Häffner remettait ce sujet sur le métier sous le même titre pour l’Opéra royal de Stockholm. Grétry s’attaqua lui aussi à ce thème dans un opéra en trois actes, qui ne fut jamais représenté. Électre réapparaît à l’aube du XXe siècle dans l’opéra de l’Italien Vittorio Gnecchi, Cassandra, créé à Bologne en 1905. En compagnie de sa sœur Chrysothémis et de son frère Oreste, elle affronte Clytemnestre dans Elektra, tragédie en un acte de Richard Strauss sur un livret d’Hofmannsthal d’après Sophocle, créée à Munich au Semperoper en 1909 ; le critique italien Giovanni Tebaldini s’amusa à relever une cinquantaine de thèmes musicaux empruntés à la Cassandra de Gnecchi ce qui fit jaser toute la presse spécialisée… À la fin du XXe siècle, en 1992-1993, Mikis Theodorakis écrit son opéra Electra, créé à Luxembourg en1995
Quant à Clytemnestre, on la retrouve également aux côtés d’Iphigénie en Aulide chez D. Scarlatti, Gluck.
. IPHIGÉNIE.
Les librettistes ont mis en scène Iphigénie, fille d’Agamemnon et de Clytemnestre, en Aulide le plus souvent mais aussi en Tauride. Après Euripide qui traita les deux sujets au Ve siècle avant notre ère (Iphigénie à Tauris d’abord en 414-412 puis Iphigénie à Aulis vers 406-405) la tragédie de Racine qu’il inspira (1674) est à l’origine de bien des livrets qui narre le sacrifice auquel dit se résoudre Agamemnon pour obtenir des dieux les vents favorables à l’expédition des Grecs vers Troie. Un opéra d’un anonyme lui fut consacré en 1632. En 1704, André Campra composa une tragédie lyrique Iphigénie en Tauride fondée sur un ouvrage inachevé de Desmarest. En 1713 deux dramme per musica de Domenico Scarlatti sur des livrets de Carlo Sigismondo Capece, secrétaire de la reine de Pologne Marie-Casimire chez qui ils furent créés à Rome, le premier, Ifigenia in Aulide, le 11 janvier 1713, le second, Ifigenia in Tauri, le 15 février de la même année. On vit en Allemagne l’opéra Iphigenia in Aulis de Carl Heinrich Graun monté à Brunswick en 1731 sur un livret de Villati.
Suite au succès que rencontrèrent ses opéras comiques français à Vienne, Christoph Willibald Gluck décida de se rendre à Paris sur la suggestion d’un attaché près l’ambassade de France nommé Marie-François Le Blanc Du Roullet qui écrivit pour lui le livret du premier opéra sérieux sur lequel le compositeur d’Orfeo ed Euridice allait déposer sa musique : Iphigénie en Aulide d’après Racine qui fut créé à l’Académie royale de Musique en 1774 et fut chaleureusement accueilli. Mais les déclarations de Gluck concernant sa conception de l’opéra selon laquelle la musique devait être subordonnée à la poésie et la soutenir déclenchèrent la fameuse « Querelle des bouffons » entre les tenants de l’opéra italien représenté par Piccinni et ceux de l’opéra français symbolisé par Gluck. Ce fut ce dernier qui l’emporta grâce au soutien de sa royale élève Marie-Antoinette et à cet autre opéra mettant en scène à nouveau la fille d’Agamemnon et de Clytemnestre, en Tauride cette fois ; sur un livret de Nicolas-François Guillard, Gluck composait son chef d’œuvre Iphigénie en Tauride, créé avec un plus grand succès encore que le précédent en 1779 à Paris également. Piccinni composa quant à lui son opéra Iphigénie en Tauride sur un livret d’Alphonse Dubreuil ; achevé dès 1778, il ne fut représenté qu’en 1781, Marie-Antoinette étant intervenue en faveur de Gluck pour que son opéra voie le jour avant celui de son rival.
Outre ceux que l’on vient d’évoquer, une soixantaine d’opéras mettant en scène Iphigénie furent écrits au XVIIIe siècle ; nombre d’entre eux furent composés sur un livret du prédécesseur de Metastasio, le poète vénitien Apostolo Zeno, livret écrit en 1709 et inspiré tout à la fois d’Euripide et de Racine. Le livret de Zeno fut mis en musique par Antonio Caldara (Vienne 1718), Nicola Porpora (Londres, Opera of the Nobility, le théâtre italien britannique,1735), le Maltais Girolamo Abos (Naples, 1745), Tommaso Traetta (Vienne, 1759), Ciccio De Majo (Naples, 1762), Pietro Guglielmi (1765 dans toute l’Italie), Jomelli (Naples, 1773), Salari (Casal-Monteferrato, 1776), Giuseppe Sarti (Venise, 1777), Vicente Martin y Soler (Naples, 1779), Prati (Florence, 1784), Giordani (Rome 1786), Nicola Zingarelli (1787), Bertoni (Trieste 1790), J. Mosca (1798), Lorenzo Rossi (Gênes 1798), Trento (Naples 1804), J. S. Mayer (Parme, 1806 et Brescia 1811) et Federici (Milan, 1809). À la fin du Siècle des Lumières, Cherubini présentait au Teatro Regio de Turin sa propre Ifigenia in Aulide (1788) et au début du siècle suivant l’Allemand Franz Danzi faisait représenter son opéra Iphigenie in Aulis à Munich (1807) bientôt suivi en Italie de celui de l’Italien de Simon Mayr, Il sacrificio d’Ifigenia (Ifigenia in Aulide, Brescia, 1811)
Il y eut aussi plusieurs Iphigénie en Tauride sur des livrets divers, musique d’Orlandini (Italie, 1719), de Leonardo Vinci (livret de Merindo Fesanio – pseudonyme de Benedetto Pasqualigo – Venise en 1725 avec la célèbre cantatrice Faustina Bordoni dans le rôle-titre ), Jomelli (Rome, 1751), d’A. Mazzoni (Trevisio, 1756), de Johann Friedrich Agricola (Berlin 1765), de Baldassare Galuppi sur un livret de Marco Coltellini (Saint-Pétersbourg, 1768) de Monza (Milan, 1784), de Tarchi (Venise, 1785), de Michele Carafa (Naples, 1817) ; cette liste tout comme la précédente n’est pas exhaustive !
Enfin après un long silence, Iphigénie réapparaît au XXe siècle sous la plume de l’Italien Ildebrando Pizzetti avec son opéra Ifigenia en 1950 à la Radio de Turin d’abord puis sur scène à Florence en1951.
Mentionnons encore Ermione, fille de Ménélas et d’Hélène qui fut l’objet d’une azione tragica de Rossini sur un livret d’Andrea Leone Tottola d’après Andromaque de Racine, créée à Naples en 1819 ; amoureuse de Pyrrhus roi d’Épire elle affrontait Andromaque veuve d’Hector aimée de Pyrrhus ; jalouse, elle demanda à Oreste de tuer Pyrrhus ; il s’exécuta et Hermione le maudit…
On retrouvera plusieurs de ces héroïnes et quelques autres aux côtés de leurs compagnons ou époux devenus parfois leurs antagonistes dans d’autres opéras qu’il s’agisse d’Eurydice, de Pénélope, de Clytemnestre, de Sémiramis ou de Didon. Ceci sera aussi une autre histoire.
Philippe Gut

Discographie sélective.
R. Strauss, Daphne, Güden, Wunderlich, King, Schöffler, dir. Böhm (DG).
Traetta, Antigona, Bayo, Panzarella et alii, Les Talens lyriques, dir. Rousset (L’Oiseau Lyre).
Orff, Antigonae, Mödl, Radev, Dooley, Aleander, Kuen, Traxel, Uhl, Böhme, Sawallisch (Hännsler)
Monteverdi, Lamento d’Arianna, Mülller-Molinari, dir. Jacobs (Harmonia Mundi).
R. Strauss, Ariadne auf Naxos, Schwarzkopf, Seefried, Streich, Schock, dir. Karajan (EMI).
Milhaud, Sonate/ Sonatine/ 3 Opéras-minute, Ens. Vocal J. Laforge (Arion).
Fauré, Pénélope, Norman, Vanzo, Taillon, Van Dam, Huttenlocher, dir. Dutoit, (Erato).
Offenbach, La Belle Hélène, Lott, Sénéchal, Beuron, Naouri, Le Roux, dir. Minkowski (Virgin).
R. Strauss, Die Ägyptische Helena (Hélène d’Égypte) Jones, Kastu, Hendricks, dir. Dorati (Decca)
Theodorakis, Electra, Antigona, Medea, St Petersburg State Academia Capella Orch. et Ch., dir. Theodorakis et Chernoushenko (Intuition).
Martin y Soler, Ifigenia in Aulide, Real Compania Opera de Camara, dir. Otero (K617)
Gluck, Iphigénie en Aulide, Dawson, von Otter, Aler, Van Dam, dir. Gardiner (Erato)
Gluck, Iphigénie en Tauride, Delunsch, Keenlyside, Beuron, Naouri, dir. Minkowski (Archiv).
Piccinni, Iphigénie en Tauride, Baleani, Massis, Bertolo, Noli, Naviglio, dir. Renzetti (Fonit Cetra)
Rossini, Ermione, Ricciarelli, Gonzales, Valentini-Terrani, Raffanti, Ramey, dir. Pollini (Sony).

Cette étude a été publiée dans les n°115 (déc. 2010), 116 et 117 (janv. et fév. 2011) d’OPMUDA (Mensuel de l’Opéra, la Musique et la Danse du Delta Rhôdanien)

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