L’Opéra de Paris au Siècle des Lumières
Solveig Serre, L’Opéra de Paris (1749-1790). Politique culturelle au temps des Lumières. Paris, CNRS ÉDITIONS, 2011, 304p.
Venant après l’étude d’Alessandro Di Profio (« La Révolution des Bouffons et l’Opéra italien de 1789 à 1792 », parue en 2003), que complétait celle d’Andrea Fabiano (« La Querelle des Bouffons dans la vie culturelle française au XVIIIe siècle », 2005) qui élargissait lui-même son propos en brossant l’ « Histoire de l’opéra italien en France (1752-1815) » (2006), sans négliger celle enfin de Michèle Sajous d’Oria ( « Bleu et or :La salle et la scène au temps des Lumières (1748-1807) », 2007), l’ouvrage de Solveig Serre apporte un éclairage des plus heureux sur la vie du théâtre lyrique à Paris et en France. Il faut savoir en effet que l’Académie royale de musique jouissait alors d’un privilège que d’aucuns auraient pu juger exorbitant, celui du monopole des représentations lyriques sur l’ensemble du royaume ! C’est rien moins que la politique culturelle dans le domaine de la musique au temps des Lumières qui est ici appréhendée. Nous disposons là désormais d’un panorama quasi exhaustif du théâtre lyrique à l’époque où Rameau et Gluck composaient leurs chefs d’œuvre que montait l’Opéra de Paris.
Le privilège de l’Académie royale de musique attribué à Lully en 1672 à titre personnel devint celui de la ville de Paris en 1749 à l’initiative de Louis XV et ce, trois décennies durant, mais cette gestion ne satisfaisant par Louis XVI, ce dernier plaça sous son autorité directe l’institution jusqu’aux premiers mois de la Révolution en 1790. Solveig Serre présente ici l’histoire originale de l’institution au cours de quatre décennies, marquée dans un premier temps par une gestion par les édiles parisiens ponctuée de difficultés multiples, se révélant coûteuse à telle enseigne qu’ils s’en déchargèrent sur des entrepreneurs privés. Puis le roi, voulant mettre fin aux incohérences de gestion reprit la main et confia l’Académie à un Comité de personnalités artistiques éminentes avant que la ville de Paris ne se vît confier à nouveau cette prestigieuse institution. Tout ceci est scruté en détails qu’il s’agisse de l’administration financière, du personnel artistique pléthorique, de la gestion des activités artistiques (les saisons lyriques et leurs programmations) : dix pages suggestives ici sur l’art de monter un spectacle au XVIIIe siècle. Ce qui conduit naturellement à aborder la politique de création de l’Académie : les salles d’abord au sein desquelles elle s’inscrit, (Palais-Royal, Tuileries, entrecoupés d’incendies ravageurs en 1763 et 1781 suivis de reconstructions), le répertoire ensuite, les choix des œuvres lyriques ou chorégraphiques (celles-ci l’emportant largement). La place de Rameau qui domine la scène durant une quinzaine d’année est soulignée avant que la reine Marie-Antoinette n’accorde ses faveurs à la révolution de Gluck au cœur de ce dispositif après l’irruption des Italiens qui, négligeant les sujets mythologiques présentaient sur le théâtre, sur le mode bouffe, des sujets contemporains qui s’inscrivaient dans la société réelle à l’ébahissement des spectateurs. Ici sont décrites les relations avec un public varié et exigeant et le conflit entre conservateurs et novateurs ; d’où la « Querelle des Bouffons ».
Rappelons toutefois, à titre de comparaison, qu’à la même époque, face au monopole de l’imposante institution française et des rares salles qu’elle contrôlait en province, chaque État italien avait à cœur de disposer d’au moins une salle consacrée au théâtre lyrique dans sa capitale ; à Venise il y avait seize salles d’opéras et vingt-trois à Naples au XVIIIe siècle, nombre d’entre elles étant toutefois de dimensions modestes. On comprend dès lors l’engouement pour l’opéra italien qui s’étend à toute l’Europe : il règne en maître dans l’Empire et notamment à Vienne : ayant échoué à créer un opéra germanique, nonobstant le succès de L’Enlèvement au Sérail (Die Entführung aus dem Serail), Mozart composa sur des livrets impeccables de Lorenzo Da Ponte trois opéras italiens (Le Nozze di Figaro, Don Giovanni, Cosi fan tutte) qui sont autant de chefs d’œuvre.
Le style de l’ouvrage de Solveig Serre est enlevé quoique le sujet soit traité avec une rigueur qui force l’admiration : on appréciera la maîtrise d’une information difficile à mobiliser car très dispersée (les différents incendies ayant mis à mal les sources) qui témoigne d’une connaissance approfondie de cette institution si originale que fut (et demeure) l’Opéra de Paris.
Philippe Gut
(Cette note de lecture est parue partiellement dans le quotidien « L’Humanité » du 20 janvier 2011, page 21 rubrique « L’Humanité des débats – Parlons-en! »)