Les CD de l’été 2019

Les CD de l’été 2019

TrANsGressiOns en musique

Sous cette graphie originale se cache un merveilleux quatuor composé d’une pianiste (Fanny Azzuro), d’une violoniste (Fanny Stefanelli), d’un accordéoniste (Thomas Chedal), d’une contrebasse (Benoit Levesque) et, en invitée, la percussionniste Vassilena Serafimova (marimba, bongos, cymbales…). On sait qu’Astor Piazzolla fut au tango ce que Chopin fut à la valse : il transcenda ce genre sous l’appellation « tango nuevo ». Ce qu’illustre ce CD enregistré en public en la Salle Colonne ; il nous fait entendre de grands noms du tango, Piazzolla bien sûr sur quoi s’achève ce récital (« Romance del diablo » et « Camorra III »), et Richard Galliano  avec une belle transcription de son « Opale Concerto » au cœur de ce concert. Place est faite à deux jeunes compositeurs français, Matthieu Stefanelli et son « Cabeceo » ou Alexandre Fontaines et son « Para Descansar ». Une page par une compositrice féminine dans ce monde masculin, l’ « Impression Tango » de Graziane Finzi. Sans oublier – retour au sources sud-américaines –  avec deux pages de Luis Caruana, l’incontournable « Tico-tico no fubá » et l’ « Odéon » d’Ernesto Nazareth. Finement ciselé.

TrANsGressiOns,SpiriTango Quartet, et V. Serafimova, percussions, 1CD Paraty 818230.

Rameau en concert

Vingt ans après sa création , l’Ensemble Amarillis donnait le jour à Versailles à ce projet qui donnait à entendre deux des neuf cantates du maître de la musique française au XVIIIesiècle que fut Jean-Philippe Rameau, « Orphée », sujet emblématique s’il en est, qu’incarne le ténor Mathias Vidal avec une grande finesse (et une parfaite diction) tout comme il dit le désespoir et l’espérance du berger Myrtil face à l’implacable déesse Diane ; des airs d’une grande diversité parfaitement chanté par ce fin connaisseur du répertoire baroque et classique jusqu’au bel canto qu’est Mathias Vidal remarquablement entouré par les dames de l’Ensemble Amarillis, Violaine Cochard au clavecin, Alice Pierrot au violon et Marianne Muller à la viole de gambe ; mention spéciale pour Héloïse Gaillard qui répond avec une belle alacrité au ténor avec tantôt sa flûte mais surtout son étincelant hautbois. Les mélomanes avignonnais ont pu applaudir ces musiciens dans le cadre de « Musique baroque en Avignon ». Ce CD, enregistré à La Courroye d’Entraigues-sur-la-Sorgue en 2014, constituera un bien beau souvenir de ce moment délicat.

Rameau,M. Vidal, ténor, Ensemble Amarillis, 1 CD Naïve V5377.

Bach à l’orgue

Disciple de François-Henri Houbart, de Marie-Claire Alain et de Louis Robilliard, éminents représentants de l’école française d’orgue, Vincent Grappy, maintes fois couronné lors de divers concours internationaux, est titulaire de l’orgue de la cathédrale de Blois. à une portée d’arbalète de Saint-Benoit sur Loire où se trouve à la belle abbaye romane de Fleury dotée d’un superbe orgue d’Alain Sals qui, en 1983, a reconstruit l’instrument datant du XIXesiècle. Cet orgue est idéal pour interpréter le répertoire baroque allemand, en l’occurrence le chef-d’œuvre-testament de Johann Sébastian Bach (1685-1750) qu’est « L’Art de la Fugue » amorcé entre 1742 et 1745, étoffé un peu plus tard et publié après sa mort en 1751. Vincent Grappy offre là une lecture idiomatique, d’une grande luminosité de cet « Art de la Fugue », ce qui n’étonnera pas lorsque l’on saura que ce fin musicien est aussi un pédagogue : il enseigne l’orgue mais aussi le clavecin au cœur de la France, à Vierzon. C’est assez dire qu’il y a adéquation entre l’organiste et l’œuvre qu’il joue. À savourer pleinement.

J. S. Bach, L’Art de la fugue à St-Benoît-sur-Loire, V. Grappy, orgue, 2CD Hortus 165-166.

Reger profane et sacré

Lauréat de maints concours internationaux, l’organiste Jean-Baptiste Dupont, né en 1979, titulaire des grandes orgues de la Cathédrale de Bordeaux, est aujourd’hui en pleine maturité ce dont témoigne à l’envi le présent enregistrement consacré à l’œuvre pour orgue de Max Reger (1873-1916). On méconnaît en France l’importance du répertoire organistique allemand dont Reger est un des plus beau fleuron ; Jean-Baptiste Dupont a travaillé dix années durant sur la musique pour orgue de ce compositeur pour aboutir aux 7eet 8eCDs de cette intégrale qui en comportera 15 au final (4 sont déjà parus). Musiques sacrée et profane sont ici mêlées. C’est ainsi qu’on écoutera les « 17 Chorals de la 3elivraison (Helf 3) opus 67 » qui boucle une intégrale amorcée dans le 4eCD, enregistrés sur l’orgue Kreutzbach de la Stadtkirche de Pößneck,  tout comme la « 2eSonate opus 60 », plutôt expressionniste  tandis que les « 5 Préludes et fugues d’exécution facile opus 56 » sont joués sur l’orgue Link de la Pauluskirche d’Ulm. La « 1èreSonate opus 33 » ouvre ce somptueux programme.

Max Reger, Intégrale de l’œuvre pour orgue, Vol 5, J.-B. Dupont, orgue, 2 CD Hortus 163-164

Clavecin mythologique

Disciple entre autres de Ton Koopman, la claveciniste et continuiste Anne Marie Dragosits s’est laissée séduire par le merveilleux clavecin de Pascal Taskin (1787), un des derniers fabriqués avant la Révolution française, que détient le Musée des Arts et Métiers de Hambourg où ce CD a été enregistré. Cet instrument, par la variété de ses sonorités, est particulièrement bien adapté au programme que la claveciniste a choisi d’interpréter, évoquant là les mondes mythologiques qui ne cessent de fasciner ; des musiciens du XVIIIesiècle français qui ont écrit pour l’opéra et dont les pages qu’on entend là sont inspirées, de Pancrace Royer (1705-1755) à Jean-Baptiste Forqueray (1699-1782) en passant par Jean-Philippe Rameau (1683-1764), François Couperin (1668-1733), Jean-Henry d’Anglebert (1629-1691) et Jacques Duphly (1715-1789), ultime compositeur d’Ancien Régime. De belles transcriptions d’œuvres des dieux ou des personnages mythiques de l’antiquité gréco-latine revisités. Admirables interprétations de ces pages pleines de grâces sous les doigts experts de la grande claveciniste qu’est Anne Marie Dragosits qui enseigne à Linz (Autriche).

Le Clavecin mythologique, A. M. Dragosits, clavecin Taskin , 1 CD Encelade ECL 1801

Clérambault au cœur 

Fondé par le ténor belge Reinoud van Mechelen, le jeune ensemble « A Nocte temporis » (Depuis la nuit des temps), constitué de quatre musiciens, tend à faire connaître la musique « ancienne » tout en montrant combien elle est vivante ; ils jouent des instruments (flûte, violon, viole de gambe et clavecin) fabriqués au XXIesiècle d’après des instruments de l’époque « moderne » (XVIIe-XVIIIesiècles). Il sert à ravir son créateur à la voix claire et lumineuse qui lui permet d’aborder le répertoire des contreténors. C’est là son second CD (le premier était consacré à Bach) qui propose quatre œuvres de Nicolas Clérambault (1676-1749), « maître de la cantate française » ; organiste, il composa nombre de motets, des pages pour le clavecin et l’orgue, mais c’est pour ses vingt-cinq cantates qu’il est réputé. Simples quant au discours, ces cantates évoquent l’une la Paix et la gloire du Roi Soleil, l’autre les affres de la jalousie, la troisième les déchirements amoureux, la dernière le destin tragique de Pyrame et Thisbé. Reinoud van Mechelen donne vie à ces pages avec une finesse sans faille, une profonde émotion, une grande sensibilité, une diction parfaite.

Clérambault, Cantates françaises,R. van Mechelen, Ensemble A Nocte Temporis, 1 CD Alpha-Classics Alpha 356.

 Vêpres luthériennes

Cet enregistrement rappelle que Luther conserva pour sa Réforme quelques uns des rites hérités du catholicisme tels les Vêpres mais aussi qu’il attachait une grande importance à la musique comme vecteur de la foi. Célébrées en fin d’après-midi, les vêpres luthériennes enchaînaient alors, comme aujourd’hui, des psaumes, des hymnes, le magnificat et maints motets entrelacés de prières et lectures psalmodiées, mis en musique par nombre de compositeurs de l’époque baroque, le doyen d’entre eux étant ici Johann Kugelmann né à la fin du XVesiècle. Les vêpres qui se déroulent ici offrent un florilège de musique composées par des musiciens qu’on connaît peu ou prou : Erbach, Scheidt, Schütz, Praetorius, Hassler, Eccard, nés durant la seconde moitié du XVIesiècle. Les œuvres qu’on entend là sont magnifiquement mises en valeur par l’Ensemble choral Val d’Orbe ou la Camerata baroque accompagnés par l’Ensemble instrumental Fratres, entourant quatre très bons solistes, tout ceci sous la direction de cet organiste et excellent connaisseur de ce répertoire qu’est Daniel Meylan. Un CD lumineux et plein de vie.

Scheidt, Schütz, Praetorius, Vêpres luthériennes, Ensemble Val d’orbe, La Camerata baroque, Ensemble Fratres, D. Meylan, dir., 1 CD Hortus 162.

Ballade avec Louis Vierne

L’œuvre pour orgue de Louis Vierne (1870-1937), célèbre titulaire des grandes orgues de Notre-Dame de Paris, a éclipsé nombre de pages écrites pour d’autres instruments mais que l’on redécouvre progressivement aujourd’hui. Voici par exemple sa Sonate pour violon et piano qui date du début du XXesiècle et fut créée triomphalement sous l’archet d’Eugène Ysaÿe au violon et les doigts Raoul Pugno au piano en 1908 ; elle s’articule en quatre mouvements pétris de romantisme fin de siècle, empreinte d’une forte personnalité qu’on retrouve dans la « Ballade », une première mondiale, qui donne son titre à ce CD ; une commande d’Ysaÿe qu’on découvrira ici dans une version violon-piano, d’une formidable diversité et d’une grande inspiration. C’est aussi le cas des cinq extrais de la pétillante « Suite bourguignonne » également dans sa version violon-piano, foisonnante et exaltant l’amour de la nature. Ces pages d’une grande richesse ont trouvé pour ce CD les interprètes qui leur convenaient en la personne de la pianiste franco-suisse Frédérique Troivaux et du violoniste Dominique Hofer grand connaisseur du répertoire pour violon du XIXesiècle. Une découverte donc.

Louis Vierne, Ballade, D. Hofer, violon, F. Troivaux, piano, 1 CD Hortus 167

La flûte accompagnée de Bach

Voici un CD qui nous vient de Belgique où il a été enregistré à l’automne 2017 au Miry Concertzaal de Gand face auquel se trouve le Café Miry miroir par delà les siècles du fameux Café Zimmermann de Leipzig où Bach et ses amis se produisaient régulièrement. Le musicien qui interprète ici des œuvres de Bach pour flûte traversière et basse continue (« flauto accompagnato ») est le maître Patrick Beukels qui enseigne à Gand et qui exalte les trois Sonates qui composent le programme de ce CD ; il est accompagné par des musiciens chevronnés tel le flûtiste japonais Toshiyuki Shibata,  ou la claveciniste française Élisabeth Joyé ou encore le violoniste belge Dirk Vandaele ou enfin la violiste autrichienne Romina Lischka : ensemble composite par l’origine de ses musiciens mais admirablement homogène dans ses interprétations parfaitement idiomatiques. Outre les trois « Sonates en trio pour flûte et basse continue », on entendra une splendide « Toccata » extraite de la Partita n°6 pour clavecin et la « Sonate BWV 1030 pour flûte et clavecin ». De la belle ouvrage !

J.-S. Bach, Flauto accompagnato, P. Beuckels, traverso, Ensemble Café Miry, 1CD Hortus 168

Les Trios de Mendelssohn

Mendelssohn (1809-1847) avait trente ans lorsqu’il composa son premier Trio pour piano, violon et violoncelle ; c’est une de ses œuvres les plus célèbres ; dès sa création, il fit l’admiration de Schumann qui salua en Mendelssohn le « Mozart du XIXesiècle » ! De fait cette œuvre est admirablement écrite, d’un romantisme pénétrant, où le piano joue un rôle moteur. Six ans plus tard en 1845 il composa son second Trio, moins connu que le premier mais son intérêt n’est pas moindre, jailli de la plume d’un musicien au sommet de son art, d’un romantisme plus sombre, quasi schumannien, tour à tour fiévreux, délicat, épanoui, pétillant et enlevé. L’interprétation que donne le Trio Metral de ces deux Trios de Mendelssohn est en tous points réussie ; ces jeunes et talentueux musiciens sont frères (piano et violon) et sœur (violoncelle), d’où une complicité qui parcourt ces pages de bout en bout ; nul excès dans le romantisme qu’ils expriment tout à la fois avec force et retenue. Pour un coup d’essai ce premier CD est un coup de maître.

Mendelsssohn, Piano Trios, Trios Metral, 1 CD apartemusic AP198.

Fauré, Poulenc et Debussy

Gabriel Fauré (1845-1924) a consacré une bonne  part de sa vie à la musique d’église, comme compositeur et comme interprète ; il disait de son Requiem qu’il l’avait « composé…pour le plaisir ! ». On entend ici sa version originale de 1893 parfaitement interprétée, lecture idiomatique accomplie. Les musiciens qui le chantent sont ceux de l’Ensemble Aedes qui s’attache à défendre la musique française ; à leur côté, l’orchestre Les Siècles qui jouent des instruments français de la fin du XIXesiècle, bienvenus ici ; à l’orgue de l’abbaye de Lessay dans la Manche où fut enregistré ce Requiem, l’excellent Louis-Noël Bestion de Camboulas, les solistes étant Roxane Chalard et Mathieu Dubroca, tous sous la houlette précise et rigoureuse de Mathieu Romano. CD judicieusement complété par la belle et émouvante cantate profane « Figure humaine » sur des poèmes d’Éluard que Francis Poulenc (1899-1963) composa en 1943. Et pour conclure une redécouverte : les « Trois Chansons  de Charles d’Orléans » de Debussy (1862-1918)  dans leur version originale chantée par Martial Pauliat.

Fauré, Requiem, Poulenc et Debussy, Solistes, Ensemble Aedes, Les Siècles, M. Romano, dir., 1 CD apartemusic AP201.

La musique de chambre de Camille Pépin

On saluera chaleureusement ce premier CD de la jeune (elle a vingt-huit ans) compositrice Camille Pépin qui a fait ses études où qui a rencontré la plupart des musiciens qui interprètent ici ses œuvres au Conservatoire de Paris ou lors du Concours Île de Créations de l’Orchestre national d’Île-de-France en 2015. La pièce maîtresse de ce CD s’intitule « Chamber Music » titre sans doute préféré à « Musique de chambre » car écrite pour dix-huit courts poèmes  de James Joyce admirablement dits et chantés par la mezzo-soprano Fiona McGown fort bien entourée par quatre musiciens de l’Ensemble Polygones auxquels s’est jointe la pianiste Célia Oneto Bensaïd, tous solidement dirigés par Léo Margue qui donne souffle à une chaleureuse page, « Lyrae » pour six solistes sur quoi débute ce CD. Lecture vigoureuse d’« Indra » pour violon et piano, enlevée avec fougue. Quant à « Luna » qui suit c’est une commande de l’Ensemble Polygones qui en donne une vivante interprétation, tout comme Natacha Colmez-Collard emporte l’auditeur dans « Kono-Hana».

Camille Pépin, Chamber Music,Ensemble Polygones et Solistes, L.Margue, dir., 1 CD NoMadMusic NMM057

Les mazurkas, chant de l’âme

La mazurka est une danse traditionnelle polonaise que Chopin adopta comme il adopta la valse ; comme la valse il transcenda et exalta la mazurka mais, originaire de Pologne, il composa des mazurkas tout au long de sa vie, plus de soixante probablement, cinquante-huit ayant été publiées ; les premières virent le jour en 1825, les dernières à l’aube de sa mort en 1849. Le pianiste italien, d’origine florentine, Mario Fossi, interprète réputé et pédagogue distingué, a voulu célébrer ses quarante ans (il est né en 1978) en enregistrant vingt mazurkas parcourant à travers elles la vie du musicien, depuis celles de l’opus 6 composées au lendemain de l’écrasement de la révolution polonaise par les armée du tsar en 1830 jusqu’à l’ultime page inachevée, en fa mineur, de 1849. En contrepoint, cinq autres pages d’une grande intensité : la Fantaisie-Impromptu et les trois Impromptus composés entre 1835 et 1839 et la Berceuse en forme de variations de 1844. De toutes ces œuvres, Mario Fossi donne une lecture limpide, d’une grande sensibilité sans effusions excessives ; presque classique !

Chopin, Le Chant de l’âme, M. Fossi, piano, 1 CD Hortus 170

Des Motets et Chants virtuoses

Voici réunies en un large florilège des pages empruntées à divers compositeurs (une dizaine) du XVIIesiècle vénitien. Musiques d’église, virtuoses souvent, qui s’appuient sur un orgue éclatant (ici l’orgue Renaissance de l’abbaye de Saint-Amant de Boixe en Charente, superbe copie d’un instrument du XVIesiècle flamand, lumineux) dialoguant avec divers instruments non moins éclatants : cornet, bombardine, basson, flûtes, violon et la voix brillante de soprano de la cantatrice Violaine Le Chenadec. C’est La Guilde des Mercenaires qui interprète de ces œuvres, six merveilleux musiciens très au fait de ce répertoire. Si quelques uns des compositeurs dont on savoure les œuvres ici sont bien connus (Orlando di Lasso, Giovanni Paolo Cima, Giovanni Pierluigi da Palestrina, Giovanni Battista Fontana) on découvrira des pages d’Ippolito Tartaglino, Giovanni Valentini, Dario Castello, Cypriano de Rore (le doyen qui vécut au XVIesiècle), entre autres. Tout ce programme est coordonné par le cornettiste Adrien Mabire qui avait consacré un précédent CD à Bassano ; le résultat est là : on se croirait à Venise à l’aube de l’époque moderne. Envoûtant !

Mottetti e Canzoni virtuose,La Guilde des mercenaires, A. Mabire, dir., 1 CD Encelade ECL 1703.

Les Airs du Sieur Dassoucy

Bien rares sont les mélomanes qui connaissent Charles Coypeau Dassoucy (1605-1677), qui fut tout à la fois poète, luthiste et compositeur lors du règne de Louis XIII et la Régence durant la minorité de Louis XIV sous l’égide de Mazarin. Si l’on possède nombre d’écrits de l’homme de lettres, ses musiques sont toutes perdues à l’exception des « Airs à quatre parties » partiellement publiés en 1653 et totalement reconstitués en…2015. On savourer dans ce CD seize airs de ce musicien alerte et émouvant tour à tour, entrelardés de pages instrumentales d’autres compositeurs contemporains, pour luth, guitare, violes ou théorbe. L’auteur des transcriptions instrumentales est Marco Horvat qui, outre le chant (basse) pratique plusieurs instruments à cordes ; il dirige de son théorbe tout en chantant l’ensemble Faenza composé de six musiciens qui ont cette particularité de chanter et de jouer d’un instrument ; ainsi Sarah Lefeuvre est-elle soprano et flûtiste, Saskia Salembier, mezzo et violoniste entre autres. Tout ceci est séduisant et raffiné, et se laisse écouter avec plaisir.

Airs à quatre parties du Sieur Dassoucy, Ensemble Faenza, M. Horvat, dir., 1 CD Hortus 169

Mozart : Un quatuor à cordes pour une flûte

Fondé en 2009 à Paris, le Quatuor Zaïde est constitué de quatre jeunes femmes de grand talent. Depuis sa création, il a obtenu maintes récompenses lors de concours internationaux et parcouru avec succès le monde entier ; il est aujourd’hui directeur artistique du Festival International de quatuor à cordes du Luberon. En choisissant leur nom, « Zaïde », ces  musiciennes se sont placées sous l’égide de Mozart qui écrivit un opéra sous ce nom. Mais c’est la première fois qu’elles enregistrent deux de ses œuvres. Et d’abord, en 19 séquences, un arrangement anonyme de l’ultime opéra de Mozart, « La Flûte enchantée », où tous les airs familiers aux mélomanes, sont chantés par les cordes se substituant aux chanteurs ; c’est merveilleux car tous les sentiments exprimés par les protagonistes de l’opéra scintillent ici à ravir. Composés entre 1782 et 1785, les Quatuors dédiés à son maître Joseph Haydn témoignent de la maturité de Mozart ; le premier d’entre eux, en sol majeur, est d’une grande fraîcheur. Splendide interprétation de ces deux œuvres resplendissantes sous les archets du Zaïde !

Amadeus, Mozart, The Magic Flute (arr.), String Quartet n°14,Quatuor Zaïde, 1 CD NoMadMusic NMM060

Le sacrifice des musiciens

Ce bel album est un hommage aux combattants britanniques engagés dans la meurtrière bataille de la Somme (juillet-novembre 1916) où ils perdirent 420 000 hommes, 60000 le premier jour de la bataille, une boucherie effroyable ; les musiciens dont on entend ici les œuvres ont pour la plupart été tués lors de cette bataille ; du fait de leur origine sociale, ils étaient officiers, postes dans l’infanterie le plus exposé durant les assauts ; tels furent les Britanniques Wilkinson, Warren, Gurney, Butterworth ou encore le néo-zélandais Manson ou enfin l’Australien Kelly ; aux côtés des Britanniques, il y avait aussi des Français (200 000 tués) évoqués ici par une page de Jacques Ibert et une mélodie de Reynaldo Hahn. En face, les Allemands (500 000 tués) illustrés par le prélude de l’opéra « Les Oiseaux » de Braunfels ou un Adagio de Sigwart. Le ténor  Andrew Goodwin exalte ces musiques, mélodies doublement émouvantes et pleines d’espoirs inaboutis. Remarquable interprétation de L’ensemble The Fowers of War (Les Fleurs de Guerre) que dirige de son instrument le violoniste australien Christopher Latham.

Les Musiciens et la Grande Guerre XXV – Sacrifices,The Flowers of War, Christopher Latham, dir., 1 CD Hortus 725.

Improvisations de Saint-Saëns

Camille Saint-Saëns (1835-1921), un des plus éminents compositeurs français de la seconde moitié du XIXesiècle et du début de XXe, fut un enfant prodige ; il avait tout juste seize ans lorsqu’il obtint au Conservatoire de Paris le premier prix d’orgue ; c’est pour l’inauguration de l’orgue de l’église Saint-Merri à Paris qu’il composa sa première « Fantaisie » en 1857 l’année même où il devint titulaire de l’orgue de La Madeleine ; il le resta durant deux décennies ; si l’on excepte cette première Fantaisie, les autres œuvres pour orgue ici enregistrées furent inspirées par l’orgue de l’église Saint-Séverin de Paris qu’il appréciait particulièrement ; ce furent les 2e  et 3e« Fantaisies » composées successivement en 1895 et 1919. Quant au « Sept Improvisations », il les composa fin 1916-début 1917 dans le Midi et les créa à Marseille. L’organiste Yoann Tardivel qui interprète à la perfection ces œuvres est un fin connaisseur de la musique contemporaine. Il a choisi pour jouer ces pages de Saint-Saëns, un instrument proche de celui de Saint-Séverin, celui de Saint-Michel de Bordeaux, un choix judicieux.

Saint-Saëns, Improvisations et autres fantaisies, Y. Tardivel, orgue, 1 CD Hortus 172.

Au temps de Saint François d’Assise

Au temps de Saint François d’Assise, virent le jour des chants visant à exalter  l’incarnation du Christ et ses saints ; ces chants spirituels étaient  intitulés « Laudes ». Découvert en 1876 à Cortone, le « Laudario di Cortona » est un manuscrit médiéval qui contient 46 laudes. Le Canticum Novum qui a vocation à tisser des liens entre les musiques de l’Europe occidentale et celles des pays jouxtant la Méditerranée, est un ensemble à géométrie variable – ici constitué de deux chanteurs et cinq instrumentistes – qui a enregistré 19 laudes puisés dans le « Laudario di Cortona » autour de quatre thèmes religieux : l’Annonciation, la Maternité, la Passion et la Nativité. Musique extraordinairement vivante qu’animent la cantatrice Barbara Kusa et le directeur artistique de l’ensemble, Emmanuel Bardon que soutiennent une nyckelharpa (c’est un instrument à cordes frottées d’origine suédoise), des vièle et une lyre, un oud (instrument à cordes pincées venu des pays arabes), des flûtes à bec et une cornemuse, le tout ponctué de percussions ; des musiques anciennes d’une formidable modernité.

Laudario, musiques au temps de saint François d’Assise, Canticum Novum, E. Bardon, dir., 1 CD AMY052.

Romance de guerre

Voici trois Sonates composées durant la Grande Guerre; elles ont pour compositeurs trois hommes de nationalités différentes, le Français Philippe Gaubert (1879-1941), grand flûtiste et immense chef d’orchestre, musicien brancardier qui écrivit sa Sonate sous Verdun d’une gaieté surprenante compte tenu du cadre où elle naquit (1915). L’Américain Blair Fairchild (1877-1933) était musicien et diplomate et aida les musiciens mobilisés durant le conflit tout en composant : sa 2eSonate, composée à cette époque reflète, sous un lyrisme de bon aloi, au moins au début, l’influence de Ravel. Quant à Edward Elgar (1857-1934), musicien britannique réputé pour avoir exprimé ses sentiments patriotiques dans des œuvres de circonstance, il composa sa Sonate en 1918 alors que, souffrant, il s’était retiré dans le Sussex ; relativement courte cette œuvre est chaleureuse dans la diversité de ses trois mouvements. Et, cerise sur le gâteau, une petite page de l’Anglais Benjamin Dale (1885-1943), « Prunella », composée en captivité. Splendide interprétation d’Ambroise Aubrun au violon vigoureusement soutenu par Steven Vanhauwaert au piano.

Les Musiciens et la Grande Guerre XXVI – Romance de guerre, A. Aubrun, violon, S. Vanhauwaert, piano, 1 CD Hortus 726.

Les opéras de Cavalli

Disciple de Monteverdi (1567-1643), Francesco Cavalli (1602-1676) est considéré comme le compositeur le plus important en son temps dans le genre où il s’est particulièrement illustré, l’opéra public, celui qui était destiné à la bourgeoise qui payait pour entrer dans les théâtres, genre qui s’est considérablement développé à partir de Venise au XVIIesiècle. 27 opéras de Cavalli ont été conservés qui témoignent de la richesse opératique de ce temps. Le fameux contre-ténor Philippe Jaroussky qu’on ne présente plus a eu l’heureuse idée de montrer la vitalité de la musique de Cavalli à travers un florilège d’airs puisés dans seize des opéras composés entre 1639 et 1673. Magnifique illustration d’un genre populaire à l’origine d’une passion planétaire. Philippe Jaroussky, ici magnifique, pour faire découvrir les effets d’où naissent les affects (« dagli effetti nascono gli affetti »), s’est entouré de deux superbes cantatrices en les personnes d la soprano hongroise Emöke Baráth et de la contralto québécoise Marie-Nicole Lemieux, toutes deux très au fait de ce répertoire tout à la fois brillant et émouvant, et de son ensemble Artaserse avec lequel il a noué une grande complicité. Superbe.

Ombra mai fu, Francesco Cavalli, Operas AriasPhilippe Jaroussky, Artaserse, 1 CD Erato

Introspections

La jeune pianiste franco-roumaine Axia Marinescu a tout juste 32 ans ; très douée, elle interpréta à 11 ans le 23eConcerto de Mozart. Lauréate de maints concours, elle s’est produite un peu partout dans le monde ; polyglotte, diplômée de philosophie d’une université parisienne, elle a publiée des essais tant en France qu’en Allemagne et en Roumanie. On ne s’étonnera donc pas qu’elle ait choisi pour son premier CD le thème de l’introspection au travers de trois musiciens. Mozart d’abord avec qui elle avait débuté sa brillante carrière, ici la célèbre Sonate n°11 dite « alla turca », toute d’élégance et de virtuosité, magnifiquement  exaltée. Brahms a accompagnée Axia Marinescu durant ses études de philosophie à Paris ; elle a choisi de jouer ses « Klavierstücke » opus 118, œuvre testamentaire dédiée à Clara Schumann la femme qu’il a aimé platoniquement toute sa vie ; lecture d’une sensibilité toute de retenue. Et enfin le Premier Livre des « Images » de Debussy (1905) qui, selon le compositeur devait prendre place « à gauche de Schumann ou à droite de Chopin …» ! Une interprétation toute en finesse. Un bien beau CD… 

Mozart, Brahms, Debussy, Introspections, A. Marinescu, piano, 1 CD Polymnie 123 137.

Musique d’Arménie

C’est là le premier album du quatuor à cordes Toumanian Mek (son nom est celui d’un grand écrivain arménien) qui se consacre à la promotion de la riche musique arménienne. Fondé par le violoniste David Haroutunian, accompagné du chanteur Dan Gharibian, il propose ici un florilège d’œuvres de compositeurs peu connu en France, si l’on excepte Khatchatourian dont on entendra in fine six adaptations de ses fameux ballets. L’album débute par les quatorze délicates « Miniatures » de Komitas (1869-1935) fort bien arrangées pour le quatuor par Serguei Aslamazian ; puis, remontant dans le temps, ce sont trois pages  de celui que les Arméniens considère comme le « barde de l’amour » le plus célèbre du Caucase au XVIIIesiècle, Sayat-Nova (1712-1795), l’une d’elles, « Je ne connais pas ta valeur », susurrée finement par Dan Gharibian qui distille également une mélodie de Gusan Sheram (contemporain de Komitas), « « Elle a une grâce ». Enfin deux danses composées par Ruben Altunyan, né en 1939, musicien contemporain qui réussit la synthèse entre musique traditionnelle mêlée aux acquis de la musique d’aujourd’hui.

Music from Armenia, Toumanian Mek, 1 CD NoMadMusic NMM 058

Modernisme

Voici une superbe anthologie d’œuvres dédiées aux instruments à vents placée sous le signe de la « modernité ». Des pages écrites aux XXeet XXIesiècles. D’Albéric Magnard ce compositeur disparu à l’aube de la Grande Guerre et qu’on redécouvre aujourd’hui, son Quintette (créé en 1895),  pétri d’un romantisme crépusculaire permet aux différents vents de s’exprimer librement en des séquences solistes finement différenciées telles la clarinette ou le basson. En réaction contre l’impressionnisme tout autant que contre le wagnérisme, le Groupe des Six auquel appartenait Darius Milhaud se voulut « moderne » ce dont témoigne sa « Sonate pour flûte , hautbois, clarinette et piano » composée en 1918. Exact contemporain de Magnard, Carl Nielsen composa un Quintette d’une grande vivacité qui connut un succès qui ne s’est pas démenti depuis sa création en 1922,. Le « Jeune France » André Jolivet se voulait humaniste ; sa « Sérénade pour hautbois principal » est sensuelle et colorée. Les œuvres de Philippe Hersant et Thierry Escaich répondent avec force à la définition de cet opus. Ici la fine fleur des vents français.

Moderniste, Les Vents français,E Pahud, flûte, F. Leleux, hautbois, P. Meyer, clarinette, R. Vlatkovic, cor,  G. Audin, basson, E. Le Sage piano. 1 CD Warner Classics

Les Chants sacrés de Schütz

On était à l’aube de la Guerre de Trente Ans, le compositeur allemand Heinrich Schütz (1585-1672) célébrait ses 40 ans (1625) en composant 40 « Chants sacrés » (Cantiones Sacrae) pour quatre voix a cappella accompagnées de quatre instruments à cordes (luths et violons) et d’un orgue. Pour la première fois, Schütz composait ici sa musique sur des textes en latin alors que d’habitude il utilisait l’allemand. Les textes de ces Chants ont des sources multiples ; ils sont extraits d’un livre de prières en latin « Precationes » qui datait de 1553, du « Livre des Psaumes », du « Cantiques des Cantiques » pris dans la Bible, du « Notre Père », de prières écrites en latin par Bernard de Clairvaux ou de poèmes de Martin Moller ; l’influence de Palestrina se manifeste dans l’écriture polyphonique mise en œuvre  par Schütz. L’ensemble Magnificat qui interprète ces Chants fut fondé en 1991 par le chanteur Philip Cave qui en est le directeur ; sous sa houlette  les quatre chanteurs (soprano, alto, ténor et basse) et cinq instrumentistes. Une lecture idiomatique de ces pages lumineuses.

Heinrich Schütz, Cantiones sacrae, Ensemble Magnificat, Ph. Cave dir., 2 CDs Linn CKD 607.

Deux trios de Dvořák

C’est dans le cadre de la Chapelle Royale Reine Elisabeth qui siège à Bruxelles (mais réside à Waterloo) qu’a vu le jour et s’est réalisé le projet formé par le Trio Busch d’enregistrer les œuvres pour piano et cordes d’Antonin Dvořák (1841-1904); trois CD sont déjà parus et voici le dernier consacré à deux des quatre Trios pour piano et cordes composés par l’auteur de la « Symphonie du Nouveau Monde » qui nous sont parvenus ; ils gagnent à être visités car ils appartiennent à nombre d’œuvres remarquables qu’on n’entend trop peu. L’ « Opus 21 en mi mineur » qui date de 1875 est une page d’une grande maturité où le romantisme de Dvořák atteint une sorte de classicisme ! Le Trio opus 26 en sol mineur » (1876) vit le jour alors que le compositeur venait de perdre sa fille Josefa, d’où le sombre climat des trois premiers mouvements tandis que se fait jour dans le quatrième un éclair d’espoir. Fondé en 2012 à Londres, le Trio Busch, placé sous l’égide du grand violoniste germanique Adolf Busch, réalise là un magnifique travail qui rend justice à deux œuvres qu’il contribue à vulgariser au sens propre du mot.

Dvořák, Piano Trios op.21 & 26, Busch Trio, 1 CD Alpha 466.

Leonardo Da Vinci et la musique

Plus qu’un disque et plus qu’un livre, voici un Livre-disque somptueux imaginé par Denis Raisin Dadre pour son ensemble Doulce Mémoire dont on sait qu’il se consacre sur instruments d’époque aux musiques anciennes. Il a retenu dix œuvres emblématique de Leonardo Da Vinci, disparu il y a cinq cents ans, en regard desquels il a enregistré, comme en contrepoint des musiques de la Renaissance. Quelques exemples : pour évoquer « L’Annonciation »  des Ave Maria de Frater Petrus ou de Marchetto Cara, pour le « Portrait de musicien » un motet de Josquin Desprez, un Ave Mater Matris Dei de Jean L’héritier pour « La Vierge à l’Enfant avec Sainte Anne », et un florilège  d’œuvres variées pour « La Vierge aux Rochers » ; quant à l’ énigmatique « Joconde » elle dispose de deux pages de musiciens anonymes tandis que Saint Jean Baptiste se voit illustré par une page de Johannes de La Fage composée un an après la mort de Léonard. Cinq très beaux chanteurs, cinq excellents musiciens sous la flûte de Denis Raisin Dadre, et un livre richement documenté. À ne pas manquer.

Leonardo Da Vinci, la musique secrète, Doulce Mémoire, D. Raisin Dadre, dir., 1 Livre-CD Alpha 456.

Le Dilettante d’Avignon

C’est dans le cadre de son bicentenaire que l’Orchestre de Région Avignon-Provence donna en version de concert cet opéra-comique en un acte de Jacques-Fromental Halévy (1799-1862), composé en 1828 sur un livret de son frère Léon Halévy, créé avec succès en 1829 et jamais rejoué depuis. Il s’agit là d’une satire de la « rossinomania » qui s’était emparée des mélomanes parisiens depuis les triomphes de Rossini et qui avait valu un premier échec à Halévy pour son opéra italien « Clari » ; les critiques avaient reproché au compositeur, de n’être pas Italien : pour eux, la musique d’opéra ne pouvait venir que d’Italie. Se souvenir qu’Avignon fut jadis italienne et son dilettante (amateur passionné de musique) admire les airs chantés par un ténor (ici l’excellent Mathias Vidal) qui mêle français et italien en des airs empruntant aux styles musicaux des deux nations. Sous la direction inspirée de Michel Piquemal, les cinq solistes de la distribution (notamment les deux sopranos Melody Louledjian et Virginie Pochon, pour qui la musique prime sur les paroles) donnent vie à cette œuvre qui gagnait à être ressuscitée. Bravo à l’ORAP !

J.-F.Halévy, Le Dilettante d’Avignon, Solistes, ORAP, M. Piquemal, dir., 2 CDs Klarthe K073.

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