Femmes musiciennes
Cette causerie s’inscrit dans le droit fil de la brillante conférence qu’avait donnée le 8 mars 2018, dans le cadre de l’association Soroptimist International Avignon, notre ami Pierre Provoyeur. Mon objet, dans le droit fil de son propos concernant les « Femmes artistes », est de tenter de cerner à grands traits la place qu’ont occupée autrefois et qu’occupent aujourd’hui les femmes dans le monde de la musique. Dans ce monde, les femmes ont de tout temps eu une triple activité : elles ont pu et peuvent en effet être compositrices, interprètes vocales et interprètes instrumentales. Dans un premier temps, j’ai choisi de n’évoquer ici que les femmes compositrices et ce dans le monde européen, leur rôle dans les mondes extra-européens étant assez comparable, suivant les époques, à celui qu’elles connaissent aujourd’hui ou ont connu dans le passé.
Femmes musiciennes dans l’Antiquité.
On sait que les femmes, comme les hommes, ont pratiqué la musique de tout temps ; sans doute en ont-elles composé dès l’Antiquité mais aucun nom de compositrice ne nous est parvenu à une exception près qui s’inscrit dans la Grèce antique, je veux parler de Sappho (buste ci-dessous) cette fameuse poétesse grecque, la seule dont nous soient parvenus le nom et quelques fragments de son œuvre,dédiée à la déesse Aphrodite; elle vécut aux VIIe et VIe siècles av. J.-C., à Mytilène, sur l’île de Lesbos, où elle naquit vers 630 av. J.‑C., et mourut vers 580 av. J.‑C. Les poètes en ce temps-là étaient aussi des musiciens ; ils accompagnaient leur déclamation de la lyre. La poétesse Sappho était donc aussi musicienne (fresque romaine ci-dessous). Elle jouait d’un instrument de musique pour chanter son œuvre,soit un barbitos (ci-dessous à gauche) qui était une espèce de lyre plus grave et plus allongée que d’ordinaire, soit d’une sorte de harpe, la magadisou pestis (ci-dessous à droite) dont elle fit mention dans ses vers. Sappho passe, d’après Plutarque dans son traité De la musique, pour avoir inventé le mode mixolydien, une adaptation à sa propre poésie du mode lydien, qui était lui strictement instrumental. Sappho serait en outre l’inventrice du plectre qu’on nomme aussi médiator, ce petit instrument destiné à faire vibrer les cordes et qu’utilisent encore aujourd’hui les guitaristes.
Sappho constitua à Lesbos un cercle qu’elle appela moisopolon oikia(la « maison consacrée aux muses ») ; c’était un groupe de jeunes filles actif en particulier durant les cérémonies de mariage. Sappho désignait ces jeunes filles du terme de hetairai, ou « compagnes », nom qu’on employait pour désigner les amies les plus proches. Les activités de ce groupe étaient similaires à celles d’un chœur lyrique féminin qui pratiquait danses et chants
Le rôle de Sappho au sein de son cercle était pédagogique, et s’exerçait auprès de jeunes filles appartenant à l’aristocratie de Lesbos ou provenant d’autres régions de Grèce ou d’Asie Mineure telle que l’Ionie. L’éducation reçue par ces jeunes filles, de nature musicale et placée sous le signe d’Aphrodite, visait, pense-t-on, à leur faire acquérir les qualités requises dans le cadre du mariage. Une autre théorie fait du groupe de Sappho un thiase, groupe de jeunes filles consacrées à Aphrodite ; cette théorie est défendue par l’historienne Marie-Jo Bonnet selon laquelle si Sappho préparait les jeunes filles au mariage, elle ne voulait pas cependant qu’elles subissent le sort habituel des femmes grecques dont le statut à cette époque était parfaitement résumé par les hommes dans cette formulation : « Nous avons les courtisanes en vue du plaisir, les concubines pour nous fournir les soins journaliers, les épouses pour qu’elles nous donnent des enfants légitimes et soient les gardiennes fidèles de notre intérieur ». Les femmes, mêmes mariées, n’étaient pas citoyennes et n’avaient donc aucun droit dans la cité, les petites filles n’allaient pas à l’école et pouvaient être mariées sans leur consentement dès l’âge de quinze ans. Marie-Jo Bonnet pense que l’enseignement de Sappho au thiase allait bouleverser les bases de la société grecque. Dans cette institution réservée aux filles, on cultivait et développait son Éros par la recherche de la beauté aussi bien du corps que de l’esprit. Les élèves apprenaient le théâtre (mystères d’Aphrodite), la danse, le chant, la poésie ; venant de tout l’empire grec elles avaient des échanges les amenant à avoir une forme de pensée bien différente des codes habituels. En un mot elles acquéraient « le savoir » d’où une certaine indépendance vis-à-vis des lois et coutumes de la cité. L’enseignement de Sappho était pour les jeunes filles une véritable initiation à la liberté. Tout ceci, qui remettait en cause un régime basé sur le patriarcat et la toute-puissance masculine, fut promptement réprimé dès le siècle suivant, le Ve, le siècle de Périclès…
Les musicologues comme les historiens antiquisants (je songe ici à Valérie Péché et Christophe Vendries, Musique et spectacles à Rome et dans l’Occident romain sous la République et le Haut-Empire, Editions Errance, 2001 et à Alain Baudot, Musiciens romains de l’Antiquité, Presses de l’Université de Montréal, 1973) s’accordent à reconnaître que majoritairement « les musiciennes de l’Antiquité gréco-romaine étaient des femmes d’humble condition ». Elles pratiquaient leur art dans les festins et banquets, excitant par leurs charmes et leur musique lascive, les transports des convives ; ceci à l’imitation de pratiques venant d’Égypte ou des autres nations orientales. Ce qui valait pour la Grèce classique, valut également pour la Rome républicaine, après l’époque hellénistique et a fortioripour la Rome impériale. Aucun nom de compositrice de ces temps lointains ne nous est parvenu.
Femmes musiciennes au Moyen-Âge.
Quel fut le sort des musiciennes au Moyen-Âge ? Il ne différa guère d’abord de celui des musiciennes de l’Antiquité, procédant de l’héritage culturel gréco-romain selon lequelles musiciennes étaient associées à la prostitution. En outre les musiciennes du millénaire médiéval subirent l’influence du christianisme et de ses théologiens, influence déterminante dans un premier temps. Concernant les femmes, l’apôtre Paul était sans ambiguïté : il rappelait dans sa Première Épitre aux Corinthiens (II, 3) que « les femmes doivent obéir à leurs maris,… car l’homme est le chef de la femme, … et que les femmes doivent être soumises à leurs maris en toute circonstance », ce qui signifie, pour ce qui est de la pratique musicale féminine qu’elles devaient être placées sous le contrôle des hommes. Or la théorie musicale était enseignée dans les monastères et les théoriciens en étaient des moines, ce qui limitait d’emblée la liberté des musiciennes. Selon la vision chrétienne de la musique on distinguait la musique céleste et la musique diabolique, la première étant louange de Dieu, la seconde, profane, ou musique diabolique, était celle de l’enfer et des pécheurs grands ou petits, celle qui exerçait un pouvoir sensuel et extatique sur les hommes. Toutefois, dans certains couvents, ceux qui accueillaient les jeunes filles ou les femmes de l’aristocratie qui bénéficiaient d’une instruction et d’une éducation souvent raffinées, les religieuses étaient autorisées à chanter seules les louanges de Dieu et de ses saints. Non seulement les moniales apprenaient la musique mais nombre d’entre elles en composaient.
La première que j’ai repérée est Cassienne de Constantinople qui vécut au IXesiècle (ca.805-ca.865) (Portrait 1 ci-dessous à gauche). Tout à la fois abbesse (higoumène), poétesse et compositrice, elle fut très tôt canonisée (fête le 7 septembre). D’origine aristocratique, elle composa de nombreux hymnes – on en a conservé une cinquantaine dont 23 font partie encore aujourd’hui des livres liturgiques de l’Église orthodoxe. Une légende rapporte que l’Empereur Théophile qui l’avait aimée voulut à l’aube de sa mort la revoir une dernière fois et se rendit au monastère qu’elle avait fondé à Constantinople, dont elle était l’abbesse et où elle composait. Apprenant la venue de celui dont elle avait été amoureuse, mais désormais consacrée à Dieu, elle se retira à son arrivée ; Théophile trouva l’hymne auquel elle travaillait et y ajouta un vers « ces pieds dont Éve entendit le son au crépuscule au Paradis et qui se cacha par crainte »…(Portrait 2 ci-dessous à droite).
Nonobstant l’interdiction faite aux femmes en général et aux religieuses en particulier, de pratiquer la musique et le chant, dans les autres régions de l’Europe en voie de christianisation, dans certains monastères féminins, l’enseignement et l’exécution et du chant et de la musique étaient non seulement permis mais encouragé. Une cantrixou cantorissaenseignait la musique et le chant et les nonnes pouvaient copier dans des scriptoriaconçus à cet effet les partitions de valeur retenues pour les offices. Parce que riches et puissants, bravant ainsi les interdits de l’Église, nombre de monastère féminins furent des centres de culture notamment musicale. La grande époque de ces monastères s’étendit du XIIeau XIVesiècles.
La plus éminente compositrice du Moyen-Âge (XIIesiècle), en Europe centrale, fut une religieuse germanique, Hildegard von Bingen(1098-1179) (Image ci-dessous). Dixième enfant d’une famille aristocratique de la Hesse rhénane, elle entra dans le couvent des Bénédictines de Disibodenberg (sur le Rhin). Humaniste avant la lettre, outre un mysticisme précoce qu’elle cultiva sa vie durant, elle fut tout à la fois une compositrice et une femme de lettres franconienne de grand talent doublée d’une scientifique remarquable notamment dans le domaine de la médecine ; reconnue par le pape Benoît XVI comme docteur de l’Église elle fut canonisée en octobre 2012, quatrième femme faite docteur de l’Église. Elle devint abbesse de l’abbaye de Disibodenberg (à 38 ans) et consigna bientôt les visions qu’elle avait eues depuis son enfance dans un ouvrage intitulé Scivias,encouragée par le pape Eugène III à poursuivre son œuvre littéraire. Parallèlement elle fonda (1147) l’abbaye de Rupertsberg où l’on pratiqua la musique tant vocale qu’instrumentale ; on y exécuta un drame liturgique qu’elle composa à cette époque, l’Ordo virtutum(Le jeu des vertus), quatre-vingt-deux mélodies relatant les déchirements qu’éprouve l’âme entre le démon et les vertus… Enfin sur le plan musical elle composa une œuvre considérable, quelque soixante-dix chants liturgiques, hymnes ou séquences (que des enregistrements récents ont permis de découvrir) ; l’ensemble de ses chants fut réuni dans la Symphonie de l’harmonie des révélations célestesqu’elle mit en musique ; cetitre indique que ces chants sont d’inspiration divine, et que la musique est la forme la plus élevée de toute activité humaine. D’une grande prudence, la théologie féminine qu’elle élabora respectait les puissances divines masculines ; elle tint à préciser que ses visions tout comme son œuvre littéraire émanait de Dieu : « Quant au chant et à la mélodie, écrivit-elle, je les ai également produits et exécutés grâce à Dieu et aux saints, sans avoir reçu l’enseignement humain de qui que ce soit, et bien que je n’aie jamais appris un neume ou quelque chant que ce soit » (cité par Danielle Roster, p.21)…
Au XIIeet XIIIe siècles il y eut en Provence de nombreuses poétesses-compositrices appelées trobairitz(troubadour en français, du verbe provençal trobar qui veut dire trouver, inventer, créer.) dont les noms nous sont connus, la plus célèbre étant Beatritz, comtesse de Die (ca 1175 – ca 1225) (Portrait ci-dessous), épouse de Guillaume de Poitiers, mais qui aima Raimbaut d’Orange qui lui fut infidèle (!) et qui composa, dit-on, pour lui de belles « chansons » : toutefois, une seule de ses chansons nous est parvenue… Ces trobairitz appartenaient essentiellement à l’aristocratie. Dans le Nord de la France, des femmes-trouvères (trouveresses) ont été repérées en assez grand nombre, telles Blanche de Castille, Agnès de Navarre-Champagne, la comtesse de Foix… Il n’en demeure pas moins que les œuvres des trobairitz ou des trouveresses sont les sources les plus anciennes dans le monde occidental de la musique profane composée par des femmes.
Les compositrices de la Renaissance à l’époque baroque
Le statut de la femme musicienne évolua très sensiblement et très positivement à l’époque de la Renaissance (XVesiècle), évolution dont l’origine se situe en Italie où se déployèrent nombre de cours princières tandis que s’y répandait l’humanisme parallèlement à la redécouverte de l’Antiquité. On apprécia donc désormais la femme non plus seulement pour sa beauté physique mais également pour sa culture, sa capacité à jouer de la musique, à en composer, d’où l’importance accordée à l’éducation musicale spécialement chez les jeunes filles de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie.
Mais il fallut attendre la seconde moitié du XVIesiècle pour voir publiées en Italie les œuvres de compositrices, la première d’entre elles étant Maddalena Casulana(originaire de la province de Sienne) (Portrait ci-dessous) qui composa et publia beaucoup de madrigaux à quatre ou cinq voix qu’elle chantait lors de concerts donnés dans les villes de l’Italie du nord.Elle dédia à Isabelle de Médicis son premier livre de madrigaux avec cette profession de foi :
« [Je] veux montrer au monde, autant que je le peux dans cette profession de musicienne, l’erreur que commettent les hommes en pensant qu’eux seuls possèdent les dons d’intelligence et que de tels dons ne sont jamais donnés aux femmes. »
Elle ouvrit ainsi la voie à d’autres compositrices dans le même registre, celui du madrigal qui se développa considérablement.
L’une des musiciennes les plus emblématiques de cette période qu’on appela « baroque » (fin du XVIe– XVIIesiècle) fut sans doute la florentine Francesca Caccini (1587-1645 ?). Il faut dire qu’elle avait de qui tenir (médaillon ci-dessous)). Née à Florence où elle mourut, elle était la fille du compositeur (et chanteur) Giulio Caccini. Son père, au service des Médicis, est l’auteur d’un des tout premiers opéras, L’Euridice, à ne pas confondre avec celui homonyme de Jacopo Peri créé à Florence à l’occasion du mariage d’Henri IV et de Marie de Médicis et dans lequel, du reste, Caccini et sa fille Francesca se produisirent aux côtés du compositeur qui était leur ami. Francesca avait bénéficié d’une solide éducation ; elle avait été initiée, à Florence, au latin, à la rhétorique, à la poésie, à la géométrie, à l’astrologie, à la philosophie tandis que son père lui apprenait le chant, le clavecin, le luth, la guitare, la théorie musicale et la composition. Les Caccini furent invités par Henri IV à se produire à Paris en 1605 où Francesca fit une grande impression en chantant à ravir des chansons françaises. De retour en Italie, elle publia un recueil, Il primo libro delle musiche a una e due voci(1618), en deux parties, l’une consacrée à la musique sacrée (19 Spirituali), l’autre à la musique profane (17 Temporali) (jouant du luth ci-dessous). Bon nombre de ses œuvres sont perdues ; a subsisté néanmoins un opéra, La Liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcinacréé à Florence en 1625 ; il est donc un des tout premiers opéras et le premier composé par une femme ; c’est une composition d’une grande beauté qui fait la part belle à la soprano virtuose qui incarne Alcina et dont on peut penser qu’elle se l’était attribuée (Portrait ci-dessous à droite).
Plus tard, et toujours en Italie, la Vénitienne Barbara Strozzi(1619-1677) (Figure ci-dessous) nous apparaît comme l’autre grande compositrice et chanteuse italienne du XVIIesiècle ; elle était la fille adoptive du poète Giulio Strozzi, auteur de livretsd’opéra, qui était probablement son père et qui encouragea sa carrière musicale. Elle étudia la composition auprès du célèbre compositeur d’opéras Francesco Cavalli, et à partir de 1634, elle fut associée comme chanteuse et compositrice à l’Accademia degli Incognitifondée par Giovanni Francesco Loredano et son père adoptif. Sa réputation, comme cantatrice virtuose et comme compositrice, franchit les frontières de la Vénétie. Elle composa de nombreuses œuvres vocales pour des mécènes comme le doge de VeniseNicolò Sagredo à qui elle dédia son opus 7, une cantate, et qui possédait un tableau peint par le peintre génois Bernardo Strozzi vers 1637 intitulé « Musicienne avec viole de gambe » (portrait ci-dessous; la compositrice apparaît ici telle une courtisane la poitrine à demi nue, des fleurs dans les cheveux, un violon posé sur la table, dans l’attente d’un… admirateur…!), mais également pour l’empereur Ferdinand III de Habsbourg, pour Éléonore de Gonzague-Mantoue, ou Sophie de Bohême, duchesse de Brunswick. En 1664 elle publia, réparties en huit opus, quelque 125 œuvres, des madrigaux, des arias ou des cantates de qualité. Il serait sans doute abusif de faire de Barbara Strozzi une courtisane nonobstant la sexualisation traditionnelle des musiciennes héritée de l’Antiquité et réactivée par la religion chrétienne ; à Venise comme à Rome, la Renaissance connut une réactivation de la musicienne courtisane promptement réprimée dans l’État pontifical dans le cadre de la Réforme catholique, mais qui perdura à Venise.
En France, à l’époque moderne (dite « baroque »), les femmes de la haute société jouissaient d’une influence grandissante dans les salons, s’inscrivant dans le cadre de la « Querelle des femmes » qui avait vu le jour au XVIesiècle, et qui concernait le statut social des femmes, son apogée se situant au XVIIesiècle dans ce qu’on appela « l’âge d’or des précieuses » (ridiculisées par Molière) ; elles défendaient la liberté de choix des femmes, l’égalité de droit, l’accès à la culture, le développement des compétences. C’est dans ce cadre que vit le jour et vécut Élisabeth Jacquet(1665-1729) (Portrait ci-dessous, ici représentée par François de Troy), sous le règne de Louis XIV et de Louis XV, l’une des rares et la plus célèbre compositrice française de ce temps, également claveciniste virtuose. Elle naquit dans une famille de musiciens ; son père, facteur de clavecins, lui donna, ainsi qu’à ses frères et sœurs, une solide éducation musicale, mais Élisabeth se révéla tôt comme une enfant tout à la fois prodige et virtuose dont la carrière débuta à l’âge de cinq ans lorsqu’elle joua du clavecin devant le Roi-Soleil (1670). En 1684 elle épousa l’organiste Marin de La Guerre et joignit son nom au sien ; c’est pourquoi elle nous est connue sous le nom composé d’Élisabeth Jacquet de La Guerre. Son œuvre de compositrice révèle un sens aigu de la modernité ; comme Bach plus tard, elle subit et intégra des influences italiennes, s’essayant à tous les genres musicaux de son temps, musique religieuse (des cantates) ou profane (la Cantate Le Sommeil d’Ulissepar exemple, 1715), des pièces dans le style « français » ou « italien » (des Suites pour clavecin, en 1687 et 1707, des trios, en 1685, des sonates pour violon et clavecin, en 1707, une tragédie lyrique Céphale et Procris, en 1694) ; notons que le recueil de Suites de 1687 est le seul recueil composé par une femme, publié en France au XVIIesiècle. Claveciniste et organiste virtuose, improvisatrice et compositrice sans égale, elle bénéficia de la protection de Madame de Montespan. Elle fut une des premières femmes en France à avoir composé un opéra-ballet et l’une des toutes premières compositrices de sonates aux côtés de son cousin … François Couperin. Sa biographe, Catherine Cessac, rapporte à son propos ce jugement de l’homme de lettres Évrard Titon du Tillet : « On peut dire que jamais personne de son sexe n’a eu d’aussi grands talents qu’elle pour la composition de la musique et pour la manière admirable dont elle l’exécutait sur le Clavecin et sur l’Orgue. »Après sa mort, Louis XV fit frapper en son honneur une médaille portant cette inscription : « Des grands musiciens J’ay disputé le prix. Élisabeth-Claude Jacquet de la Guerre MDCCXXIX ». (1729).
Rendons-nous à présent en terre d’Allemagne, à Bayreuth pour y rencontrer une femme d’exception (une de plus !) : Wilhelmine de Prusse(1709-1758) (Portrait ci-dessous), fille aînée de Frédéric-Guillaume Ier, le roi-sergent, sœur du futur roi de Prusse, Frédéric II le Grand, avec qui elle entretint toujours des relations fraternelles très fortes notamment sur le plan musical ; elle épousa en 1731 le margrave Frédéric de Brandebourg-Bayreuth ; elle avait été initiée au clavier, à la danse à Berlin, et, plus tard, à Bayreuth, à la composition par Johann Pfeiffer, et à l’opéra. Devenue compositrice sous le nom de Wilhelmine von Bayreuth (Portrait de la maturité) ici peinte par Jean-François Liotard en 1745, elle fut l’auteure pour un anniversaire de son époux d’un opéra de qualité, Argenore, sur un livret de Galetti. On lui doit plusieurs livrets d’opéra, notamment l’un sur la « Sémiramis » de Voltaire qui écrivit de son côté une « Ode sur sa mort » quand elle disparut en 1758. Elle s’attacha à développer la vie musicale à Bayreuth qui rayonna sur l’Europe entière (bien avant Wagner) ; elle y fit construire une salle dite L’Opéra des Margraves, qui demeure sans doute le plus beau théâtre baroque d’Europe ; la salle intérieure fut aménagée par le grand décorateur Giuseppe Galli Bibiena (1696-1757). Elle a laissé des « Mémoires » (publiées en France en 1967, rééditées en livre de poche en 2001, Mercure de France) qui témoignent avec acuité de la vie de cour à Berlin sous le règne de son père.
Durant la seconde moitié du XVIIIesiècle, à Vienne, une femme remarquable tenait salon ; elle s’appelait Marianne de Martinez(ou Marianna von Martinez, 1744-1812) (Portrait ci-dessous) était d’origine espagnole et fut initiée à la musique par Nicola Porpora et au clavecin par le jeune Joseph Haydn hébergé à cette époque par ses parents ; le compositeur Johann Adolf Hasse lui donna aussi des leçons. Devenue adulte, elle reçut dans son salon fréquenté par l’aristocratie éclairée, Haydn et Mozart, jouant avec ce dernier ses sonates à quatre mains. Elle fonda une école de chant en 1790. Bien des œuvres qu’elle composa (environ 200) sont aujourd’hui perdues, mais on en a conservé quelques unes (deux oratorios, quatre messes, six motets, des cantates religieuses, des sonates pour clavier, un concerto pour piano et une symphonie), dont les manuscrits sont déposés dans les archives de la Gesellschaft der Musikfreunde de Vienne.
Enfin il faut faire une place à Maria Anna Mozartplus connue par le surnom affectueux que lui donna son frère, Nannerl (Portrait enfant ci-dessous à gauche). Sœur aînée de Wolfgang Amadeus Mozart, elle naquit en 1751 ; dès l’âge de sept ans, son père Leopold lui enseigna le clavecin ce qui intéressa bientôt son frère ; comme lui, elle fut une enfant prodige et leur père les emmena à travers l’Europe, exploitant sans vergogne le talent prodigieux de ses enfants très proches l’un de l’autre (Sous le portrait de la mère, les enfants Mozart et leur père par Népomuk della Croce, ca.1780). Nannerl, interprète de grand talent au clavecin et au piano forte, composait également et son frère fit l’éloge de ses musiques dont on n’a pas conservé la trace. Mais lorsqu’elle atteignit l’âge de dix-huit ans son père lui interdit de se produire en public et même de composer. Il l’obligea à donner des cours de clavecin et bientôt de piano pour payer les frais de voyage de son frère ! En outre, elle ne put se marier avec l’homme qu’elle aimait car son père lui imposa pour époux un magistrat deux fois veuf et père de cinq enfants avec qui elle eut elle-même trois enfants auxquels elle enseigna, sans succès, la musique… Les relations de Nannerl et de son frère se distendirent et à la mort de son mari (1801), dix ans après celle de son frère elle donnait des cours de piano (Portrait de Nannerl à la fin de sa vie) pour subvenir à ses besoins et mourut, devenue aveugle, à Salzbourg en 1829. Triste histoire donc.
Revenons en France et arrêtons-nous quelques instants, au tournant des XVIIIeet XIXesiècles, sur cette femme singulière que fut l’aristocrate Hélène de Montgeroult (1764-1836) (Portrait ci-dessous). Compositrice et pianiste, elle fut considérée en son temps comme une remarquable interprète de pianoforte en même temps qu’une improvisatrice de grand talent. Pour son biographe, Jérôme Dorival, elle apparaît comme le pont entre classicisme et romantisme et « s’impose comme le chaînon manquant entre Mozart et Chopin » ! Hélène de Nervo (c’était son nom de jeune fille) apprit la musique à Paris sous la houlette de grands maîtres du clavier tels que Dussek et peut-être même Clementi. À vingt ans, elle épousa le marquis Gautier de Montgeroult et se produisit au cours des années précédant la Révolution, dans quelques grands salons de l’aristocratie éclairée, ceux de Madame Vigée-Lebrun, de la famille Rochechouart, de Madame de Staël ou de Madame de Genlis. Sous la Révolution, avec son mari, elle fréquenta les cercles révolutionnaires modérés, partisans d’une monarchie constitutionnelle. Alors qu’ils accompagnaient en juillet 1793, Hugues-Bernard Maret nommé ambassadeur de France à Naples, les Montgeroult furent arrêtés en Piémont par les Autrichiens, le marquis emprisonné ; âgé de 57 ans, il mourut là en septembre 1793. De retour à Paris la marquise échappa à la proscription sous la Terreur pour cause d’utilité publique : « La citoyenne Gaultier-Montgeroult, artiste, dont le mari a été lâchement assassiné par les Autrichiens, peut employer son talent aux fêtes patriotiques » ; elle put ainsi rester à Paris. En 1795 elle mit au monde un fils, Aimé Charles His que son père, Charles His (1769-1851), rédacteur au « Moniteur », reconnut en se mariant avec Hélène de Mongeroult deux ans et demi plus tard (juin 1797). Auparavant, en août 1795, sous le Directoire, avait été créé à Paris un Conservatoire de musique destiné à l’enseignement ; on créa six postes d’enseignement pour le clavecin. Un concours fut organisé auquel Hélène de Montgeroult fut reçue, nommée professeur de première classe chargée de la classe de piano homme, seule femme nommée à ce poste pour un salaire annuel de 2500 francs, égal, cela vaut d’être souligné, à celui de ses homologues masculins ; Hélène de Montgeroult démissionna deux ans et demi plus tard pour cause de santé. Parallèlement à son enseignement elle avait composé de la musique publiant dès 1795 son opus 1, trois sonates pour piano. Les opus suivants (de 2 à 6), tous consacrés à des pièces pour le piano (sonates, fantaisies, nocturnes) s’ajoutèrent à son Cour complet pour l’enseignement du forte-piano comprenant 114 étudespublié en 1820. Cette année-là elle épousa le Comte Édouard Dunod de Charnage de 19 ans son cadet qui mourut accidentellement six ans plus tard. Jusque-là, elle s’était produite dans son propre salon souvent en compagnie de musiciens de talent tels que le violoniste virtuose Viotti, Cherubini ou Kreutzer. Mais après 1830, sa santé déclina ; elle quitta Paris en compagnie de son fils pour s’installer en Italie, à Padoue d’abord, puis à Pise et enfin à Florence où elle mourut en 1836 ; elle est enterrée dans le cloître de la Basilique Santa Croce.
Femmes musiciennes, du Romantisme au naturalisme
Avec Hélène de Montgeroult nous venons d’aborder le XIXesiècle. Pour ce qui est des compositrices françaises, il faut se reporter à l’ouvrage de la musicologue et chanteuse lyrique Florence Launay, ouvrage issu de sa thèse de doctorat soutenue en 2004 et remaniée pour ce livre paru en 2006 sous le titre Les compositrices en France au XIXesiècle (Fayard, 2006, 544p.). Il nous révèle ainsi que notre pays a compté durant ce siècle pas moins d’un millier de femmes qui ont éprouvé le besoin de s’exprimer musicalement. Émergent de cette foule inattendue, une vingtaine de compositrices qui rivalisèrent avec leurs homologues masculins dans les genres les plus divers, mélodie, opéra, musique de chambre ou symphonique ; elles ont connu le succès et la reconnaissance de leurs confrères et de la critique. Je n’en retiendrai – compte tenu du temps qui me reste pour les évoquer – que quelques unes.
La première de ces compositrices fut Louise Farrenc (1804-1875) (Portrait de jeunesse ci-dessous à gauche), tout à la fois pianiste, compositrice et professeur. Fille du sculpteur Jacques Dumont et sœur d’Auguste Dumont lui-même sculpteur (il est l’auteur du buste de Cherubini qui orne sa tombe au cimetière du Père-Lachaise), Louise Dumont eut pour professeur Anne Soria disciple de Clementi puis, au Conservatoire de Paris Antoine Reicha pour la composition et l’harmonie. Elle interrompit temporairement ses études lorsqu’elle se maria en 1821 avec le flûtiste Aristide Farrenc de dix ans son aîné – elle avait tout juste dix-sept ans. Ils eurent une fille en 1826, excellente pianiste elle aussi mais qui mourut prématurément de la tuberculose en 1858. Farrenc, fasciné par les dons exceptionnels de sa jeune épouse, s’en fit l’éditeur et l’agent. Louise Farrenc, du nom de son mari désormais, reprit ses études avec Reicha, devint, sur la recommandation de Jacques Fromental Halévy (1799-1862), professeur de piano de la duchesse d’Orléans en 1842, année où elle fut nommée professeur de piano au Conservatoire de Paris, année même de la mort de Cherubini auquel succéda Daniel-François-Esprit Auber (1842-1871). Dès lors, elle ne se produisit plus guère en concert se consacrant pleinement à ses élèves (Portrait de la maturité ci -dessous à droite). Son œuvre est abondante et de très grande qualité et l’on peut s’étonner de la connaître si peu. Cela tient sans doute au fait qu’elle ne composa pas un seul opéra, le genre majeur à cette époque. Mais elle eut à son actif trois symphonies que créa la toute jeune Société des Concerts du Conservatoire, nombre d’œuvres pour voix et piano ou orchestre, de la musique de chambre et notamment dans ce domaine un Nonette pour quatuor à cordes et vents op. 38créé en 1850 et auquel participa le grand violoniste virtuose (et compositeur) Joseph Joaquim en 1850 ; ce fut son plus grand succès. Avec son mari qui s’attacha à faire jouer ses compositions, elle constitua une anthologie de la musique pour piano en 23 volumes couvrant le répertoire de cet instrument du XVIeau XIXesiècle, intitulé Le trésor des pianistes, achevée en 1875 par elle-même, son époux Aristide Farrenc étant mort en 1865. On notera que Robert Schumann avait émis une critique chaleureuse de son Air russe varié pour piano op. 17. Anecdote significative : Elle avait constaté que son salaire au Conservatoire était nettement inférieur à celui de ses homologues masculins ; elle s’en plaignit auprès du directeur et obtint finalement l’égalité de traitement…!
Appartenant à la génération suivante, voici une autre compositrice remarquable qui fut aussi une cantatrice de grand talent : il s’agit de la seconde fille de cet entrepreneur de spectacles directeur d’une troupe de chanteurs, professeur de chant et surtout ténor de réputation internationale, l’espagnol Manuel Garcia (1775-1832) qui eut également un fils prénommé comme lui Manuel (1805-1906) excellent pédagogue et accessoirement bon baryton, et une première fille, Maria Felicia née en 1808. C’est sa seconde fille née en 1821 qui nous intéresse ; elle se prénommait Pauline – Pauline Garcia (Viardot) – , qui étudia le piano sous la houlette de Franz Liszt, donna son premier récital en 1838 à l’âge de 16 ans (Portrait de Pauline jeune ci-dessous à gauche) et débuta l’année suivante dans le rôle de mezzo-soprano de Desdemona de l’Otello de Rossini ; elle était censée prendre le relais de sa sœur qui n’était autre que Maria Malibran morte prématurément en 1836 ; moins virtuose que son aînée sur le plan vocal, elle était douée de grandes qualités dramatiques, musicales et intellectuelles ; elle n’abandonna pas pour autant le piano et joua à plusieurs reprises à quatre mains avec Clara Schumann. Elle épousa en 1840 le Directeur du Théâtre des Italiens qui était aussi critique musical, Louis Viardot (1800-1883) (Portrait de la cantatrice ci-dessous au centre par Ary Scheffer) et prit le patronyme de son mari ; ils eurent quatre enfants qui se consacrèrent à la musique, leur fils Paul comme violoniste, leur fille Louise Héritte Viardot fut compositrice et écrivaine et leurs deux autres filles furent des cantatrices de talent. Elle-même s’imposa en quelques années à telle enseigne que Meyerbeer écrivit pour elle le redoutable rôle de Fidès dans Le Prophète(1849), Halévy celui de Rachel dans La Juive, et Berlioz adapta pour elle l’Orphéede Gluck (rôle d’Eurydice, 1859) ; Gounod composa pour elle son opéra Saphoet Saint-Saëns lui dédia Samson et Dalila(1877) alors qu’elle avait renoncé à la scène en 1863. Chopin quant à lui admirait sa technique pianistique. Ayant acquis la partition autographe du Don Giovannide Mozart, elle chanta le rôle de Zerlina à Saint-Pétersbourg. À partir de 42 ans, Pauline Viardot se consacra à la composition, des opérettes notamment sur des livrets de son ami qui fut aussi son amant Ivan Tourgueniev, et à l’enseignement du chant dans sa classe du Conservatoire de musique de Paris où elle accueillait exclusivement des jeunes filles. Dotée d’une voix exceptionnelle à la tessiture très longue qui pouvait passer du registre de contralto à celui de soprano sans dommage, elle fut une grande tragédienne avec un sens dramatique très développé, et une « agilità » assez surprenante : elle pouvait chanter les concertos pour violon de son beau-frère Bériot ou les Études de Chopin ! (Portrait de Paulin âgée ci-dessous à droite). C’était pour elle … un jeu ! Brahms, Saint-Saëns, Schumann, Fauré ont composé des pièces pour elle. Elle fut une des plus grandes cantatrices du siècle.
Voici une autre femme de caractère, l’alsacienne Marie Jaëll (1846-1925) (portrait ci-dessous à droite), née Trautmann, qui fut une enfant prodige ; pianiste, compositrice et grande pédagogue, elle épousa en 1866 – elle avait tout juste vingt ans – le pianiste virtuose Alfred Jaëll (1832-1882), ami de Liszt, Brahms et Saint-Saëns, avec qui elle allait parcourir l’Europe, jusqu’en Russie (Portrait ci-dessous à gauche en compagnie de son époux) pour faire connaître dans des récitals très courus les œuvres de Brahms, Liszt, Beethoven, Schubert, Mendelssohn entre autres. Mais elle est surtout connue pour l’étude qu’elle fit de la technique pianistique, menant des recherches sur les possibilités de la main, ce qui la conduisit à élaborer une méthode d’enseignement du piano qui a toujours cours aujourd’hui et intitulée Le toucher. Enseignement du piano basé sur la physiologiepubliée en 1899 et constamment rééditée, précédée de plusieurs ouvrages concernant la technique du piano et approfondissant sa pensée en la matière (Portrait au centre ci-dessous). Ella a en outre composé de nombreuses pages de musique et fut admise comme membre actif de Société des Compositeurs de Musique de Paris sur proposition de Saint-Saëns et Fauré qui, tous deux, la tenaient en haute estime. Son mari était mort en 1882 à l’âge de 50 ans (elle en avait 35) et elle mourut en 1925 à l’âge de 79 ans, jouissant de la grande considération des musiciens professionnels.
Contemporaine de Marie Jaëll, Augusta Holmès (Portrait ci-dessous à gauche) est un personnage singulier ; d’origine britannique et irlandaise, elle naquit à Paris en 1847, et y mourut en 1903 ; elle avait pris la nationalité française en 1873. Elle était la filleule d’Alfred de Vigny qui était peut-être son père. Elle étudia d’abord le piano, puis l’orgue et la clarinette mais aussi le chant. On dit qu’elle composa sa première œuvre à l’âge de 14 ans, La Chanson de chamelier, mais ne publia ses premières partitions qu’en 1868, elle avait tout juste vingt-et-un ans ; admiratrice de Wagner qu’elle avait eu l’occasion de rencontrer, elle a composé essentiellement des œuvres avec voix, dont elle écrivait les paroles, mélodies, oratorios, symphonies vocales ; un opéra, La Montagne noire créé en 1895, fut un échec ; il fut pourtant monté à Covent Garden à Londres et au Met de New York. Elle travailla auprès de César Franck qui en fut amoureux, composa une Ode triomphaleà l’occasion du centenaire de la Révolution française et fut surtout réputée pour deux poèmes symphoniques à programme, Irlandeet Pologne. Célibataire endurcie (Photo d’Augusta à sa maturité), elle eut toutefois une vie amoureuse animée ; elle refusa d’épouser Saint-Saëns qui lui demanda sa main à plusieurs reprises, fut la maîtresse durant près de vingt années de Catulle Mendès avec qui elle eut cinq enfants (trois de ses filles apparaissent dans un tableau de Renoir intitulé Les Filles de Catulle Mendès). En 1900 elle se fit baptiser dans la religion catholique et mourut brutalement d’une attaque cardiaque en janvier 1903. Elle a une place à Paris dans le 13earrondissement, derrière la Gare d’Austerlitz et près de la rue Paul Klee !
Dix ans après Augusta Holmès, en 1857, était née à Paris Cécile Chaminadequi fut une remarquable compositrice et pianiste, bénie des dieux, et qui, comme telle, n’eut pas d’histoire marquante, allant de succès en succès au cours de sa longue carrière dédiée à la musique (Portrait ci-dessous à gauche). Née dans une famille de la haute bourgeoisie, elle révéla très tôt des dons musicaux indéniables et sa famille l’encouragea à les cultiver en lui faisant donner des cours privés par d’éminents professeurs. L’encouragèrent également Saint-Saëns et Chabrier tandis que Bizet, un ami de la famille, qui l’appelait « mon petit Mozart », la fit entendre par Le Couppey, professeur de la classe de piano réservée aux jeunes filles au Conservatoire, qui reconnut instantanément ses qualités et lui proposa de l’inscrire dans sa classe. Refus de son père : « Dans la bourgeoisie, dit-il, les filles sont destinées à être épouses et mères ! ». Désespoir de la jeune fille qui à huit ans avait déjà donné son premier concert. Bizet obtint néanmoins qu’elle pût suivre en privé les cours de Le Couppey mais également ceux de Benjamin Godard pour la composition. Elle avait vingt-deux ans (1880) lorsqu’elle débuta modestement comme compositrice en public avec son premier Trio pour violon, violoncelle et piano (opus 11) suivi de trois pages symphoniques en 1888 (elle avait trente ans) (Portrait devenue adulte ci-dessous au centre), un ballet Callirhoëà Marseille, un remarquable Concertstück pour piano et orchestreet une symphonie dramatique avec chœurs Les Amazonescréée à Anvers. Dès lors elle ne cessa plus de composer si ce n’est pour se marier en 1901 avec un éditeur de musique, Louis-Mathieu Carbonel (Portrait à l’poque de son mariage ci-dessous à droite). Elle composa quelque 150 mélodies dans le style de salon fort prisé dans la seconde moitié du siècle ; son catalogue ne compte pas moins de 167 numéros d’opus et 39 œuvres sans numéro d’opus. Brillante carrière donc en France comme compositrice et comme pianiste (ce qui lui valut d’être décorée de la Légion d’Honneur en 1913, première femme musicienne à recevoir cette distinction), mais aussi en Angleterre et aux Etats-Unis où elle débuta en 1908 en interprétant son Concertstück à Philadelphie. « Mon amour, dit-elle, c’est la musique, j’en suis la religieuse, la vestale » (Portrait de la maturité). Elle a composé essentiellement pour le piano (200 pièces environ), une écriture lumineuse, très mélodique évoquant Massenet ou faisant penser à Mendelssohn par sa grâce, voire à Schumann lorsqu’elle se faisait véhémente. Ignorant les tendances de la musique contemporaine (Debussy, Fauré, Stravinsky) qui se faisait jour à la fin du siècle, c’est sans doute la raison pour laquelle on l’a oubliée. Veuve après six ans de mariage, elle dut subvenir à ses propres besoins et ceux de sa mère, d’où un travail acharné. Lorsqu’éclata la Première Guerre mondiale, elle accepta, à cinquante-sept ans, de prendre la direction d’un hôpital, négligeant dès lors la musique qu’elle ne reprit que çà et là ultérieurement, mais elle ne parut plus en public après 1922, fut amputée d’un pied en 1936, se retira alors à Monte-Carlo où elle mourut, quelque peu oubliée, en 1944, à l’âge de 85 ans.
On ne quittera pas le XIXesiècle sans citer deux immenses compositrices germaniques : Fanny Hensel, née Mendelssohn,et Clara Schumann, née Wieck. La première, Fanny Mendelssohn, était une compositrice et pianiste allemande (1805-1847), née dans une famille de la haute aristocratie juive appartenant à l’intelligentsia berlinoise du Siècle des Lumières (l’Aufklärungen Allemagne) et des débuts du Romantisme. Toute jeune, elle étudia le piano et la composition et manifesta très tôt, dès l’âge de quinze ans (Portrait ci-dessous à gauche), des dons musicaux exceptionnels tout comme son frère Félix de quatre ans plus jeune ; tous deux aspiraient à pratiquer professionnellement la musique, elle en tant que pianiste virtuose et compositrice. Mais elle dut renoncer à la musique qui était sa passion, pour ne pas faire d’ombre à son jeune frère ; voici ce que son père lui écrivit en 1820 (elle avait quatorze ans et Félix, dix) :
« La musique deviendra peut-être pour lui [Félix] son métier, alors que pour toi elle doit seulement rester un agrément mais jamais la base de ton existence et de tes actes. Nous pouvons néanmoins lui pardonner son ambition et son désir d’être reconnu dans un domaine qui semble très important pour lui, car il le ressent comme une vocation, bien qu’il soit tout à ton honneur d’y avoir montré toi-même de bonnes dispositions ; et ta joie sincère devant les louanges qu’il reçoit prouve que tu en aurais mérité tout autant à sa place. Demeure fidèle à ces sentiments et à cette ligne de conduite, ils sont féminins et seulement ce qui est féminin est un ornement pour ton sexe » (Lettre d’Abraham Mendelssohn-Bartholdy à sa fille Fanny, 16 juillet 1820).
Ce même père reconnut, au lendemain de sa mort, mais un peu tard : « Si elle avait été un homme, elle aurait pu avoir une belle carrière » (!). Auparavant elle avait épousé le peintre Wilhelm Hensel dont elle eut un fils. Elle eût sans doute publié ses propres œuvres, encouragée par son mari qui admirait en elle la compositrice, mais son frère s’y opposa obstinément (Portrait à l’poque de son mariage). Elle se mit donc au service de ce frère, et, à défaut, prit part sur le plan logistique aux concerts du dimanche matin d’un orphelinat berlinois, l’Elternhaus, dès 1843, elle avait alors trente-huit ans (Portrait à cette époque, ci-dessous à droite) ; elle y invitait des musiciens de renom ou en passe d’être reconnus tels Liszt ou Clara et Robert Schumann voire même Gounod. Elle mourut prématurément à l’âge de quarante-deux ans d’une crise d’apoplexie en mars 1847 (Portrait de cette époque ci-dessous au centre bas)); six mois plus tard, son frère qui lui était viscéralement attaché mourut à son tour après avoir composé un dernier quatuor qu’il lui dédia à titre posthume. Son œuvre musicale compte onze numéros d’opus composés entre 1846 et 1847 ; au total 466 œuvres de sa main sont répertoriées mais la plupart sans numéros d’opus, essentiellement des Liederet des pages pour le piano. Avec son frère ce fut, on l’a dit, un amour fraternel fusionnel à telle enseigne qu’elle l’aida dans la composition de certaines des ses œuvres. La pianiste Françoise Tillard qui lui a consacré un ouvrage (Fanny Hensel née Mendelssohn Bartholdy, Éditions Symétrie, Lyon 2007) pense que six Liederde jeunesse de Felix sont en réalité de la plume de Fanny et l’on peut penser que celle-ci mit la main à la pâte pour bien d’autres…! Gounod dit d’elle, à l’annonce de sa mort « Madame Hensel a été une musicienne inoubliable, une excellente pianiste et une femme d’une intelligence supérieure. Elle était petite et mince, mais le feu qui brûlait dans ses yeux révélait une extraordinaire énergie. Comme compositeur, elle a été exceptionnellement douée ».
La fille du célèbre professeur de piano Friedrich Wieck, Clara, née en 1819 (elle appartenait à la génération d’Offenbach né, lui, en 1818), formée par son père à la pratique du piano, fut une prodigieuse concertiste et ce dès l’âge de neuf ans (1828) ; l’année précédente, en 1827, elle avait croisé chez son père un de ses élèves, un certain Robert Schumann, âgé de dix-sept ans (Portrait ci-dessous à gauche). Clara donna alors son premier concert au Gewandhaus de Leipzig où Goethe la remarqua, fit une tournée triomphale à Paris et publia ses premiers œuvres, Quatre Polonaises,en 1829 (trois ans plus tard en 1832, Robert publiait ses Papillonsque Clara joua en concert cette année-là). Puis elle composa, entre 1834 et 1836 ses Soirées musicalesop.6 qu’elle interpréta avec succès et que salua Liszt. Entretemps, à seize ans, elle était tombée amoureuse de Robert Schumann qui, deux ans plus tard, demanda sa main à son père ; refus catégorique, interdiction de se voir ; ce ne fut finalement qu’en 1840 qu’ils purent s’épouser ; ils eurent huit enfants, quatre filles et quatre garçons, ce qui contribua à freiner sérieusement le développement de la carrière musicale de Clara, devenue Clara Schumann (Photo ci-dessous au centre en compagnie de Robert Schumann). Dès lors elle se consacra à sa famille et à l’interprétation des œuvres de son mari dont elle fut le plus souvent la créatrice, lui qui disait de sa femme qu’elle seule comprenait sa musique. Simultanément, Clara trouvait encore le temps de composer, au total une quarantaine d’œuvres essentiellement pour le piano solo, mais aussi desLieder, un Concerto pour piano et orchestreop. 7 composé en 1833-35, un Trio pour piano violon et violoncelle, op. 17 de 1846. Elle cessa de composer en 1853 car la santé mentale de son mari était inquiétante : il se jeta dans le Rhin et l’année suivante (1854) il était interné ; il mourut à Endenich en 1856, ayant à ses côtés son épouse et le jeune Johannes Brahms (il avait vingt-trois ans) qui l’admirait et dont Clara devint l’amie, la conseillère et l’inspiratrice à bien des égards. Quant à Clara elle affirmait que ses seuls moments de bonheur étaient ceux où elle jouait la musique de Robert (Photo ci-dessous à droite). Elle se lança alors dans une vie musicale frénétique, enchaînant les tournées en Angleterre, en France, en Russie, outre celles qu’elle donnait en Allemagne. En même temps elle enseignait le piano à Francfort (de 1878 à 1892), tandis que la nièce de l’Empereur, la Langravine de Hesse-Cassel, elle-même musicienne de talent l’accueillait dans son salon. Elle publia une édition complète des œuvres de Robert Schumann (1881-1893). À la fin de sa vie (Photo ci-dessous au centre bas), elle perdit progressivement l’ouïe ; elle écoutait son petit-fils Ferdinand jouer la Romance en fa majeur op.28 n°2 de Schumann lorsqu’elle mourut (20 mai 1896) à l’âge de 78 ans. Elle repose aux côtés de son époux à Bonn.
Elle fut sans doute, avec Fanny Mendelssohn, en Allemagne, Louise Farrenc et Cécile Chaminade en France, que l’on vient d’évoquer, une des compositrices les plus célèbres du XIXesiècle.
Il me faut faire mention brièvement d’une femme qui ne put s’imposer comme compositrice dans le monde artistique autrichien dès débuts du XXesiècle, nonobstant un caractère pourtant bien trempé et une forte personnalité ; il s’agit d’Alma Mahler (1879-1964), née Schindler (Photo de la jeune Alma ci-dessous à gauche), fille d’un peintre paysagiste de talent et d’une mère cantatrice ; elle-même artiste peintre surtout mais aussi musicienne, elle composa presque exclusivement des Lieder. Belle, séduisante, intelligente, indépendante d’esprit, difficile à saisir sur le plan psychologique, ainsi que la décrivent ses biographes, elle s’épanouit néanmoins au sein de l’intelligentsia viennoise et fut courtisée par le Tout-Vienne (Photo ci-dessous au centre). Son « premier baiser » volé, elle le dut à un ami de son père, le peintre Gustav Klimt lors d’un voyage à Gênes, elle avait tout juste vingt ans. En 1901 elle fit la connaissance de Gustav Mahler, de dix-neuf ans son aîné, qu’elle épousa l’année suivante ; ils convinrent qu’en se mariant, Alma renonçait à ses propres aspirations artistiques tant en musique qu’en peinture ; mais la vie du couple fut orageuse : Alma, amoureuse passionnée, était possessive tout en étant capable de séduire les hommes éminents qu’elle croisait ce qui mettait en danger permanent leur union ; toutefois, ce fut grâce à elle que Mahler rencontra Arnold Schönberg. Frustrée, aux côtés d’un mari qui se consacrait à son œuvre, tout à la fois distant et exigeant, Alma tomba sous le charme d’un architecte allemand qui n’était autre que Walter Gropius alors qu’elle avait eu deux filles avec Mahler. Divorce inenvisageable ; Mahler, désespéré, chercha et trouva le soutien de Sigmund Freud, recouvra « sa capacité d’amour » pour son épouse au cours des derniers mois de sa vie ; il mourut brutalement en 1911 d’une endocardite. La jeune et riche veuve qu’était Alma Mahler devint alors l’assistante du biologiste Paul Kammerer mais aussi brièvement sa maîtresse ; lui succéda le peintre Oskar Kokoschka qui l’aima frénétiquement mais avec qui elle rompit. Finalement elle épousa Gropius en 1915 à Berlin (Photo ci-dessous à droite) ; ils eurent une petite fille, Manon qui mourut prématurément à l’âge de dix-huit ans en 1935 ; en son souvenir Alban Berg, grand ami d’Alma, composa son célèbre Concerto à la mémoire d’un ange. Toutefois, dès 1919, Alma vécut avec le romancier Franz Werfel, divorça d’avec Gropius en 1920 et épousa l’écrivain en 1929. En 1938, ils fuirent l’Anschluss, trouvèrent refuge avec d’autres intellectuels autrichiens ou germaniques exilés à Sanary-sur-Mer qu’ils durent quitter en 1940 lors de l’invasion de la France par la Wehrmacht (et par conséquent les nazis) pour gagner les États-Unis via l’Espagne et le Portugal. Alma et Franz Werfel vécurent à Los Angeles jusqu’à la mort de Werfel en 1945 ; Alma s’installa dès lors à New York où elle mourut en 1964 à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Biographie digne de « Gala » dira-t-on ? En réalité, nous avons là l’exemple-type d’une femme extraordinairement douée qui vit son talent tant pictural que musical étouffé par ses compagnons. Elle avait entrepris dès 1900 (Photo d’Alma au début du XXe siècle, ci-dessous au centre bas) des études de composition avec Alexander von Zemlinsky (1871-1942) plus tard beau-frère de Schönberg (et qui, comme lui, et les Werfel s’exila en 1938). Elle composa quelques Lieder (Cinq Lieder en 1910, Quatre Liederen 1915, Cinq Liederen 1924) ; on croit savoir qu’elle composa au total une centaine de Liederencore aujourd’hui inédits plus quelques pièces instrumentales ; elle travaillait à un opéra lorsqu’elle rencontra Mahler, ce qui mit fin à sa brève et prometteuse période créatrice ; elle devint la muse et l’égérie des hommes qu’elle aima désormais…
Est-il besoin de noter qu’il y eut beaucoup d’autres compositrices au XIXesiècle dans maints pays autres que la France et l’Allemagne ou l’Autriche ; le temps me manque même pour les citer. Car je voudrais dire quelques mots d’autres compositrices du XXesiècle français pour conclure.
Nous en retiendrons trois de caractères très différents.Et tout d’abord les sœurs Nadiaet Lili Boulanger toutes deux nées à Paris (Photo des deux soeurs Boulanger ci-dessous à gauche), la première en 1887 la seconde en 1893, dans une famille de musiciens depuis quatre générations (!) ; leur père était professeur de chant , chef d’orchestre et compositeur, leur mère une cantatrice d’origine russe. L’aînée, Nadia étudia l’orgue et la composition dès l’âge de neuf ans et à seize ans elle devint organiste suppléante de Gabriel Fauré à La Madeleine. Élève de Louis Vierne au Conservatoire de Paris elle obtint en 1903 (à seize ans donc) les premiers prix d’orgue, d’accompagnement et de composition et cinq ans plus tard un deuxième Grand Prix de Rome de composition. Sa sœur Lili, de santé fragile – elle fut malade toute sa courte vie – ne fut pas en reste sur le plan musical elle qui sut déchiffrer une partition avant de savoir lire ! Ce fut chez ses parents qu’elle apprit le piano, la harpe, le violon, le violoncelle et …l’orgue (Photo de Lili à l’orgue), et commença très jeune à composer ; de ses œuvres de jeunesse on a conservé une Valse(en mi majeur) qu’elle avait composée à l’âge de treize ans. À seize ans (en 1909) elle entra au Conservatoire en classe de composition (Photo de Lili à son entrée au Conservatoire ci-dessous à droite), et remporta en 1913 pour sa cantate Faust et Hélènele Premier Grand Prix de Rome que son père avait remporté autrefois (en 1835). Elle fut la première femme à remporter cette prestigieuse distinction. Sa cantate fut chaleureusement accueillie et par la critique et par le public à telle enseigne que le Président de la République Raymond Poincaré crut devoir la recevoir à l’Élysée pour la féliciter (Photo de Lili en 1914 ci-dessous à gauche bas). En 1914 elle gagna la Villa Médicis à Rome et composa là des pages pour de multiples instruments et des mélodies sur divers poèmes mais fut bientôt victime d’une tuberculose intestinale qui devait lui être fatale. Au printemps 1918, elle dictait à sa sœur son œuvre ultime, un Pie Jesu et mourut le 15 mars ; elle avait vingt-quatre ans. Compte tenu de sa brève existence, son œuvre musicale est abondante et diverse, marquée au coin d’une forte inspiration biblique et mystique à quoi sa santé fragile ne fut point étrangère sans doute. Nadia, quant à elle, décida à la mort de sa sœur de ne plus composer et sa carrière musicale prit une triple direction : elle se consacra désormais à la diffusion des œuvres de sa sœur, à la direction musicale (Photo de Nadia dirigeant ci dessous au centre bas) – elle avait dirigé pour la première fois en 1912 un orchestre qui avait interprété ses propres œuvres – et surtout à l’enseignement (Photo de Nadia pédagogue ci-dessous à gauche bas) qu’elle pratiqua jusqu’à sa mort en 1979, elle avait quatre-vingt-douze ans. Son rôle dans ce domaine – l’enseignement – fut considérable et son influence très importante : elle eut plus de mille deux-cents élèves, notamment venus des Etats-Unis : quelques noms ? Elliott Carter, Aaron Copland, George Gershwin, Philip Glass, Quincy Jones, mais aussi Daniel Barenboïm, Marius Constant,, Vladimir Cosma, Jean Françaix, Pierre Henry, Jacques Ibert, Michel Legrand, Dinu Lipatti, Igor Markevitch, Astor Piazzolla, Antoni Wit… Ce fut au Conservatoire américain de Fontainebleau qu’elle enseigna dès son ouverture en 1921 (Photo de « Mademoiselle »), ci-dessous centre bas, elle en devint directrice en 1948, – la voici en 1965 – (Photo de Nadia en professeur, ci-dessous bas) et le resta jusqu’à sa mort (1979). Catholique et profondément croyante comme l’avait été sa sœur, elle resta célibataire toute sa vie (« Mademoiselle »). Elle reçut peu avant sa disparition l’insigne de Commandeur de la Légion d’Honneur des mains de son ancien élève, Igor Markevitch.
Enfin évoquons brièvement la carrière d’une compositrice contemporaine des sœurs Boulanger puisque née en 1892, je veux parler de Germaine Tailleferre. Destin singulier que le sien ; on l’a longtemps considérée comme une compositrice de musiques de salon écrites entre les deux Guerres Mondiales. On redécouvre progressivement son œuvre, loin d’être négligeable, et l’on mesure aujourd’hui l’influence qu’elle exerça sur le monde musical du XXesiècle. Outre de la musique de chambre et des mélodies, elle a composé deux concertos pour piano, trois études pour piano et orchestre, un concerto pour violon, un formidable Concerto grosso pour deux pianos, huit voix solistes, quatuor de saxophones et orchestre ! Ajoutez à cela quatre ballets, quatre opéras, deux opérettes et nombres de pages pour de petits ensembles ou pour orchestre et ceci spécialement aprèsla Seconde Guerre Mondiale, entre 1945 et sa mort en 1983. Récemment, on a découvert son Concerto pour deux guitares en orchestreenregistré en 2004 … mais en Allemagne (Chris Bilobram et Christina Altmann) !
Elle naquit en 1892 sous le nom de Marcelle Taillefesse (tel était le patronyme de ses deux parents) ; elle commença à étudier le piano avec sa mère tout en composant très jeune de courtes pages pour le piano ; elle entra subrepticement (contre l’avis de son père) au Conservatoire en classe de piano et de solfège remportant dans cette discipline un premier prix ; son père leva alors son interdiction et la laissa continuer ses études sans les financer ! Elle changea alors de patronyme (Photo de Germaine adolescente, ci-dessous à gauche haut) pour celui de Tailleferre (on imagine sans mal pourquoi !). Au Conservatoire, elle fit la connaissance en 1912 (elle avait alors vingt ans) de Darius Milhaud, Georges Auric et Arthur Honegger qui devinrent des amis, et fréquenta les milieux artistiques parisiens, à Montmartre ou à Montparnasse : Guillaume Apollinaire et son amie Marie Laurencin, Paul Fort, Fernand Léger, le sculpteur Emmanuel Centore (qui épousera sa sœur Jeanne). Premier Prix de contrepoint et d’harmonie en 1913, premier Prix de fugue en 1915. Son cercle d’amis s’ouvrit en 1917 à Picasso et Modigliani et au début de l’année 1918 eut lieu le premier concert des « Nouveaux Jeunes » auxquels s’étaient joints Louis Durey et Francis Poulenc, ce quel’on appellerait le « Groupe des Six » était ainsi constitué ; on joua ce soir-là Jeux en plein airet la Sonatine pour quatuor à cordesde Germaine Tailleferre. Les Six (Photo en compagnie de six compositeurs hommes, ci-dessous au centre haut) – Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et la seule femme du groupe Germaine Tailleferre – n’eurent guère d’activités en commun (si ce n’est par exemple, le ballet Les Mariés de la Tour Eiffelsur un livret de Jean Cocteau en 1921) mais restèrent très liés jusqu’à la fin de leurs jours respectifs ; les voici à la veille de la Seconde Guerre mondiale en compagnie de Jean Cocteau (Photo des Six plus Cocteau, ci-dessous à droite haut). La carrière de la compositrice se déploya alors, elle reçut les conseils avisés de Ravel, épousa le caricaturiste américain Ralph Barton et vécut à Manhattan, se liant d’amitié notamment avec Charlie Chaplin. Les Barton revinrent en France en 1927, mais Ralph prit ombrage du succès grandissant de son épouse qui recevait alors maintes commandes et en 1929 ils divorcèrent ; Barton, sujet à dépression, se suicida en 1931. On ne saurait mentionner ici toutes les œuvres que composa à cette époque Germaine Tailleferre ; on retiendra toutefois ses Six Chansons françaisessur des textes écrits du XVeau XVIIIesiècles, évoquant la condition féminine ; chacune de ces chansons était dédiée à une amie femme de la compositrice qui donna naissance en juin 1931 à son unique enfant, Françoise, qu’elle eut avec le juriste Jean Lageat qu’elle épousa en 1932, nouvel obstacle à la poursuite de sa carrière qui pourtant fut en ce temps d’une grande richesse créative (elle divorça beaucoup plus tard, en 1955, année où sa fille Françoise donna naissance à une petite Elvire…). De 1942 à 1946 elle vécut à Philadelphie, composa peu, se consacrant à sa fille, revint en France après la Libération et se remit au travail : la voici en 1955 (Photo ci-dessous à gauche bas) ; elle s’initia brièvement au dodécaphonisme. Au cours des années1960 elle composa beaucoup de musiques de film (Photo ci-dessous centre bas), devint pour peu de temps professeur à la Schola Cantorum et, à 84 ans (Photo ci-dessou droite bas), devint accompagnatrice des enfants de l’École alsacienne à Paris, célèbre école privée, ce qui lui apporta un complément de retraite et lui permit d’achever des œuvres parmi les plus importantes de son abondante production.
Il est bien d’autres compositrices françaises au XXesiècle, Jeanne Demessieux (1921-1968) (Photo à l’orgue, ci-dessous à gauche haut), Claude Arrieu (1903-1990) (Photo ci-dessous au centre haut) entre autres mais aussi, et bien vivantes celles-ci, Betsy Jolas (Photo couleurs ci-dessous à droite haut), née en 1926, ou Isabelle Aboulker (Photo couleurs ci-dessous à gauche bas), née en 1938, reconnues par leurs pairs et saluées par le public. Le combat pour leur reconnaissance n’en demeure pas moins vif car le monde musical est encore dominé majoritairement sur le plan institutionnel par les hommes, mais tous les espoirs sont permis car le talent, voire le génie, des compositrices est désormais reconnu et ne fait plus de doute ! Ultérieurement, il nous faudra appréhender le rôle et la place qu’ont occupées les femmes dans le domaine de l’interprétation musicale en tant qu’instrumentistes et en tant que cantatrices : Maria Callas en pourrait être le symbole…(Photo de Maria immortel ci-dessous à droite bas). Vaste sujet…!