Chorégies d’Orange 2022
Beethoven en ouverture
Nous avons choisi en cette année 2022 quatre des onze spectacles inscrits au programme des 154e Chorégies d’Orange, toujours sous le choc de la pandémie du coronavirus : les deux opéras et deux concerts.
Ce fut initialement un concert avec, en début de ces Chorégies, au théâtre antique, la douzième apparition du chef d’orchestre et ancien directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France – un fidèle lui aussi des Chorégies – le Coréen Myung-Whun Chung que les mélomanes retrouvèrent avec plaisir à la tête de cette phalange réputée à juste titre. Au programme, deux œuvres emblématiques qui bruissent des accents guerriers qui opposaient à l’époque de leur création l’Empire d’Autriche à l’Empire napoléonien. Elles bruissèrent aussi d’un vigoureux mistral auquel firent face avec détermination et le chef et le soliste et l’ensemble des musiciens. Ce fut donc d’abord le Cinquième et dernier « Concerto pour piano et orchestre en mi bémol majeur, opus 73 » (dit « l’Empereur ») composé par Beethoven vers 1808-1809 et créé à Vienne en 1811 (au terme du conflit austro-français) par l’archiduc Rodolphe d’Autriche, élève de Beethoven, au piano. Au Théâtre Antique d’Orange ce fut le grand pianiste français Pierre-Laurent Aimard qui l’interpréta en lieu et place du regretté Nicholas Angelich récemment disparu ; ce musicien talentueux sut mettre en valeur la somptuosité de sa partition tout à la fois puissante et raffinée, en un puissant dialogue entre piano et orchestre, témoignant d’une belle complicité du soliste et du chef ; applaudissements chaleureux d’un public jeune et enthousiaste. Les qualités propres au Concerto se retrouvèrent du reste dans la « 7e Symphonie en la majeur, opus 92 » qui complétait ce programme. Beethoven l’avait composée entre 1811 et 1812 et elle fut créée à Vienne en 1813 ; elle témoigne de l’inquiétude du compositeur quant à l’issue la guerre qui oppose une partie de l’Europe à l’Empire français…Elle demeure d’une grande actualité et le maestro à la tête de son orchestre sut faire briller ses trois étincelants mouvements encadrant le fameux deuxième moments tout de douceur et d’émotion contenues, avec une grande économie gestuelle, guidant aux doigts et aux yeux des musiciens qu’il connaît bien, et là encore avec une complicité rayonnante qui déchaîna, in fine, à nouveau les applaudissements du public qui aurait bien sûr souhaité un bis que les conditions atmosphériques ne permettaient malheureusement pas. Une bien belle et chaude soirée néanmoins (7 juillet 2022).
Orange : « L’Elisir d’amore » sur grand écran
Musicien prolifique, Gaetano Donizetti a composé un grand nombre d’œuvres lyriques dont les plus célèbres, « L’Elisir d’amore », « Lucia di Lammermoor » et « La Fille du régiment », ont contribué à établir son immense réputation. Les Chorégies d’Orange, en leur théâtre antique, accueillirent pour la première fois, le premier des trois cités, qui est un « melodramma giocoso » (opéra comique) que Donizetti a écrit sur un livret de Felice Romani ; il fut créé triomphalement à Milan en 1832 et repris dans le monde entier. On retrouve là des personnages de la commedia dell’arte que le metteur en scène vénitien Adriano Sinivia connaît bien ; une histoire d’amour qui se déroule au Pays basque, stimulée par un « élixir d’amour » qui n’est autre que du…vin de bordeaux ! Reprise de la mise en scène que Sinivia réalisa il ya quelques années pour l’Opéra de Lausanne inscrite ici dans des décors étourdissants de Christian Taraborelli, conçus à la mesure du site grandiose : d’ou de gigantesques épis de blé côté jardin que des acrobates ou même des chanteurs (Nemorino entre autres) pouvaient escalader ou une colossale roue de tracteur adossée sur le mur du théâtre côté cour ; et des costumes plaisants d’Enzo Iorio, le tout servi par une distribution de choix au premier rang de laquelle le vaillant et subtil ténor italien Francesco Demuro qu’on découvrit à cette occasion et qui remplaçait au pied levé René Barbera souffrant ; il dut bisser, à la demande générale, l’air célèbre entre tous, au deuxième acte, « Una furtiva lagrima ». La jeune et belle soprano sud-africaine Pretty Yende (qu’on a applaudi à « Musiques en fête » en juin) incarnait avec fougue une opulente Adina, très en voix. Le truculent baryton polonais Andrzej Filonczyk campait un puissant Belcore quoique doté d’une voix un peu courte, rôle difficile il est vrai, souvent en porte-à-faux. En revanche la basse-bouffe uruguayenne Erwin Schrott fut un charlatan Dulcamara plus vrai que nature, faisant irrésistiblement penser à tel célèbre professeur de médecine marseillais contemporain à la longue chevelure blanche…! vantant à tous vents sa fameuse potion, juché sur une énorme bouteille (de bordeaux ?) couchée sur une char que tiraient des complices. Rythme soutenu, pas de temps mort, durant tout ce spectacle, où l’Orchestre Philharmonique de Radio-France, familier du lieu et qu’on avait applaudi la veille dans un beau programme Beethoven, fit merveille sous la baguette inspirée du jeune maestro italien Giacomo Sagripanti qui connaît la partition et le livret par cœur et soutint du geste et mezza voce sa phalange et les interprètes. Ne pas oublier les figurants, et les chœurs mêlés de l’Opéra Grand Avignon et de l’Opéra de Monte-Carlo magnifiquement coordonnés par le maître Stefano Visconti. Une réussite complète (8 juillet 2022).
Chorégies d’Orange, Une somptueuse « Nuit italienne »
Elle fut annulée l’an passé pour cause de pandémie, mais la voici qui nous est revenue, cette « Nuit italienne » fort attendue, au cours de ce grand concert où retentirent des pages chorales extraites d’opéras de Verdi, symbole musical du Risorgimento italien, maître incontesté de l’art lyrique au XIXe siècle et qui, durant plusieurs décennies, fut la marque de fabrique, pourrait-on dire, des Chorégies, leur force et leur fierté. Retour aux sources donc et, pour ce faire, vinrent enchanter le théâtre antique l’Orchestre et le Chœur de la Scala de Milan, le célébrissime théâtre d’opéras de la péninsule italienne. À la tête de l’orchestre, son chef, le maestro Riccardo Chailly et, dirigeant le chœur, son directeur Alberto Malazzi. On put entendre et vibrer à l’écoute de pages tirées de pas moins de dix opéras du grand compositeur qui enflamma les lyricomanes des deux derniers siècles et ceux, chenus, des Chorégies du XXIe siècle, de « Nabucco » (1842) à « Aida » (1871), en passant par « I Lombardi alla prima crociata » (1843), « Jerusalem » (1847) , « Il Trovatore » (1853), « La Forza del destino » (1862), « Macbeth » (1865), « Don Carlos » (version française, 1867) et « Don Carlo » (version italienne, 1867), parcours chronologique fort bien construit qui permit d’apprécier l’évolution musicale – orchestration des préludes ou ouvertures – , et le sens dramatique de Verdi compositeur et dramaturge. Un flamboyant florilège qu’exalta un chœur imposant de près de cent chanteuses et chanteurs impeccables soutenus par un orchestre aussi imposant, tout à la fois brillant (étincelants bois et cuivres) et velouté à l’occasion (les cordes) sous la baguette complice du maestro Chailly qui mit en valeur les musiciens solistes de sa phalange (hautbois ou flûte et petite harmonie côté cour) qui enthousiasma le public venu applaudir ce répertoire qu’il connaît bien et dont il ne se lasse pas… Final éblouissant avec le « Gloria all Egitto » qui, au second tableau du IIe acte d’« Aida », salue (les fameuses trompettes) un Radamès victorieux. Tout cela appelait un bis ; ce fut la reprise de l’air « Vedi le fosche notturne spoglie » au début de l’acte II du « Trouvère », dans le camp de Bohèmiens, chaleureusement applaudi – il faisait très chaud en outre ! – par un public d’un certain âge, enthousiaste, qui en redemandait…! (20 juillet 2022).
Orange : Un drame romantique, « La Gioconda » de Ponchielli
C’est sur un livret du compositeur et librettiste Arrigo Boïto (1842-1918), ami et collaborateur de Verdi, inspiré du roman de Victor Hugo, « Angelo, tyran de Padoue », que le compositeur italien Amilcare Ponchielli (1834-1886) écrivit son opéra « La Gioconda », qui demeure son chef-d’œuvre. Il s’inscrit dans le droit fil de l’opéra verdien tout en annonçant le réalisme lyrique de Puccini qui fut du reste son élève. A Venise, au XVIIe siècle, la cantatrice Gioconda, que l’espion Barnaba poursuit de ses assiduités, aime le noble Enzo, exilé de retour à Venise clandestinement, qui, lui, aime la jeune Laura, épouse de l’Inquisiteur d’État Alvise. Au terme de maints chassés-croisés, Gioconda se sacrifiera pour sauver et son amant Enzo et Laura, la maîtresse de ce dernier. La difficulté pour le réalisateur – et à Orange ce fut le directeur des Chorégies Jean-Louis Grinda, expert en la matière, auteur aussi de la scénographie et des rares éléments scéniques -, réside dans le fait qu’il faut réunir six grandes voix pour six grands rôles dans chacun des registres vocaux ; dans ce domaine, on ne fut pas déçu. Pour le rôle-titre, La Gioconda, la soprano colorature hongroise Csilla Boross remplaça, haut la main et au pied levé, la soprano Saioa Hernandez indisponible ; elle fut parfaite sur le plan vocal et sur le plan dramatique. La mezzo-soprano Clémentine Margaine fut une pathétique et brillante Laura, la contralto Marianne Cornetti incarna avec un sens aigu du drame la Cieca, mère aveugle de Gioconda : trois grands rôles féminins. Côté messieurs, le ténor Stefano La Colla campa un vaillant Enzo Grimaldi, très en voix mais peu engagé dramatiquement ; le baryton Claudio Sgura campa, lui, avec force et cynisme l’espion Barnaba et la basse Alexander Vinogradov fut le conseiller Alvise Badoero, tout à la fois digne dans sa fonction, déchiré et plein de rage en tant qu’époux bafoué. Les chœurs d’Avignon, de Monte-Carlo et de Toulouse et l’Orchestre Philharmonique de Nice étaient sous la houlette du maestro Daniel Callegari, grand connaisseur de Verdi et de Puccini et, naturellement de Ponchielli, ce qu’il a démontré en suivant avec rigueur et passion les protagonistes et en stimulant avec force et finesse, tout en nuances, son orchestre. Quant à la célèbre « Danse des heures », bien connue, elle qui fait la réputation de cet opéra, elle fut dansée à ravir, dans un cadre somptueux par le Ballet de l’Opéra Grand Avignon chorégraphié parfaitement par Marc Ribaud. Les beaux costumes étaient signés du regretté Jean-Pierre Capeyron et s’inscrivaient dans une vidéographie remarquable projetée sur le mur du théâtre antique et signée elle d’Étienne Guiol et Arnaud Pottier. Un bien beau spectacle, quelque peu languissant sur le plan dramatique – cela est dû au livret – mais qui mit en valeur les voix des protagonistes mais aussi des chœurs fort bien animés (6 août 2022).