Tel le phœnix, « Carmen » aux Chorégies d’Orange

Tel le phœnix, « Carmen » aux Chorégies d’Orange

Ce sont les fameux librettistes Henri Meilhac et Ludovic Halévy qui adaptèrent pour la scène une nouvelle de Prosper Mérimée consacrée à Carmen, une cigarière andalouse et bohémienne, sulfureuse. Cet opéra-comique en quatre actes de Georges Bizet pour la musique fut un échec lors de sa création, le personnage de Carmen ayant choqué le public bourgeois. Plus tard, et les dialogues parlés ayant été mis en musique par Ernest Guiraud, ami du compositeur, « Carmen » prit sa revanche et devint un opéra qui fit le tour du monde ; c’est aujourd’hui l’un des plus populaires et il a fait les beaux soirs des Chorégies d’Orange ce dernier demi-siècle avec notamment la grande mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon dans le rôle-titre en 1998 ou, plus récemment, Kate Aldrich face au Don José de Jonas Kaufmann en 2015. Cette année, ce fut la contralto canadienne Marie-Nicole Lemieux (photo), dont la réputation n’est plus à faire et qui connaît bien le théâtre antique, qui eut la lourde tâche d’incarner l’héroïne de Bizet ce qu’elle fit avec panache. Face à elle, Jean-François Borras fut un opulent Don José, brûlant d’amour pour la bohémienne, tout comme lIdebrando D’Arcangelo qui, campa avec beaucoup d’allure, quoique assez réservé, le brillant torero Escamillo. On salua la qualité vocale et l’implication des autres interprètes dont plusieurs étaient du reste familiers du rôle qu’ils incarnaient, Pierre Doyen en Moralès ou Alexandra Marcellier, émouvante Micaëla au demeurant pleine d’assurance, sans oublier Charlotte Despaux (Frasquita) et Éléonora Pancrazi (Mercédès) ou, côté messieurs, les contrebandiers de Lionel Lhote (le Dancaïre) ou de Jean Miannay (le Remendado) mais aussi l’aubergiste Lillas Pastia de Frank T’Hézan. Mention spéciale pour l’excellente danseuse, la Flamenca, d’Irene Olvera. Ce fut la jeune cheffe d’orchestre napolitaine Clelia Cafiero (35 ans), qui avait eu l’occasion de rôder sa direction à Marseille auparavant, qui dirigea avec un allant remarquable et une grande précision l’Orchestre National de Lyon qui, plus habitué aux œuvres symphonique, se frottait là pour la première fois à « Carmen » avec un franc succès ; remarquables également les chœurs d’Avignon et de Monte-Carlo (coordonnés par Stefano Visconti) et la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, dans des décors et costumes de Rudy Sabounghi. D’où vient alors la déception qui fut grande ? Cette production, à la différence de ce qui se passait naguère à Orange, n’a rien d’original : elle vit le jour au Capitole de Toulouse en 2018 dans les décors et costumes de Rudy Sabounghi, puis à Monte-Carlo en 2020 et à nouveau à Toulouse en 2022 (avec Marie-Nicole Lemieux dans le rôle-titre) et enfin à Marseille en février 2023. Ce n’était donc pas une création. Une immense structure concave, modulable en deux parties évoluant côté jardin ou côté cour en fonction des lieux de l’action, figurant semble-t-il l’arène aux abords de laquelle se joue le drame – l’assassinat de Carmen par Don José – qui est représenté comme un flash-back durant l’ouverture, à l’instar de l’ouverture de « La Traviata » de Verdi. Décor dépouillé et minimaliste donc où évoluent les protagonistes, les chœurs et les danseurs de façon quelque peu automatique. Nonobstant les lumières de Laurent Castaingt, l’ensemble est sombre sauf au IVe acte où la claire vidéo de Gabriel Grinda, représentant, en contrepoint du drame, une corrida avec mise à mort du taureau, vient éclairer le final ; au total une mise en scène insignifiante ; dommage et regrettable ; Jean-Louis Grinda peut mieux faire, il l’a prouvé naguère.

Les commentaires sont clos.